Majd Mashharawi, le savoir comme arme

Lorsque vous naissez et grandissez sur une terre occupée, vivez sous blocus, privés de certains droits élémentaires, vos espoirs et vos aspirations sont un peu plus intenses, un peu plus incarnés. Quand la moindre prétention à une vie meilleure prend la forme d’une lutte acharnée, soit vous vous épuisez, soit vous persistez. Majd Mashharawi quant à elle, est de celles qui persistent. « Parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense » disait Charles Baudelaire. Portrait d’une jeune Palestinienne qui se bat pour améliorer la vie de ses concitoyens.

Majd Mashharawi obtient son bac en 2010, elle sait alors qu’elle fera un métier qui lui permettra d’aider son peuple. Cette fille de Gaza, brillante étudiante, se voit offrir une bourse  par une université de Berlin. Faute d’obtenir les autorisations nécessaires pour pouvoir quitter la prison à ciel ouvert qu’est son enclave, elle s’inscrit à l’université islamique de Gaza, option génie civil.

En 2016, son diplôme en poche, elle est déterminée à prendre à bras le corps l’un des problèmes majeurs de Gaza, la crise du logement. Les guerres successives ont laissé des milliers de maisons détruites, tout ou en partie. Les bombardements de 2014 auraient détruit environ 18.000 maisons, laissant 100.000 personnes à la rue.

A Gaza, depuis le blocus de 2007, les manques sont importants, en particulier les matériaux de construction comme le ciment, le sable, le gravier, empêchant toute reconstruction.

Mais comment fabriquer des briques sans matières premières ? De quels matériaux disponibles sur place peut-on se servir pour  reconstruire ? Ces questions, Majd aidée de sa collègue Rawan Abdullatif, se les pose pendant des mois.

Des idées et de la niaque

Majd trouve d’abord un atelier qui lui permet de mener des expériences, et après pas moins de 150 essais plus ou moins fructueux, Majd Mashharawi trouve le mélange gagnant. Sa brique alternative sera fabriquée non pas à partir de ciment et de gravier, mais de cendres et de…gravats !

Aidée d’une poignée de jeunes qui croient en son projet, elle se rend sur les ruines et les décombres de Gaza, récolte puis valorise ces déchets qui n’étaient jusque là que des polluants.

Et ça marche ! La brique est légère car alvéolée, économique, résistante, et écologique. Son nom est tout trouvé, elle s’appellera Green Cake.

La brique est légère car alvéolée, économique, résistante, et écologique. Son nom est tout trouvé, elle s’appellera Green Cake.

Récompensée

Après l’avoir présentée à ses compatriotes sous la forme d’un mur témoin, Majd voit les demandes affluer. A ce jour des milliers de logements ont pu être reconstruits grâce au Green Cake, qui remportera plusieurs prix et concours, dont le Japan-Gaza Innovation Challenge.

La première fois de sa vie où elle est autorisée à quitter Gaza, elle s’envole d’ailleurs pour le Japon, où elle est invitée par des ingénieurs japonais à venir perfectionner sa brique.

Elle sera profondément marquée par ce voyage, et subjuguée par un détail qui n’a rien d’anecdotique là d’où elle vient : l’éclairage public.

Un nouveau défi

Il n’en faut pas plus pour lancer cette infatigable petit bout de femme dans un second défi. Celui d’offrir une solution viable à la pénurie chronique d’électricité dans la bande de Gaza. La principale centrale électrique ayant été bombardée, les habitants ne disposent en moyenne que de quatre heures de courant par jour, les hôpitaux dix.  

A Gaza l’on fait beaucoup de choses à la lueur d’une bougie. Les enfants y étudient le soir dans la pénombre. Une personne devant suivre un traitement qui nécessite un appareil électrique, devra donc se rendre tous les jours à l’hôpital, car les heures où le courant est disponible sont aléatoires. Majd est révoltée par toute cette misère, ces souffrances.

« En Palestine », dit-elle, « nous avons 300 jours de soleil par an. L’énergie solaire est simple, abordable, disponible pour tous »

« Ils disaient que c’était impossible, mais dans mon dictionnaire il n’y a pas ce mot »

Majd Mashharawi

Après s’être envolée pour les États-Unis afin de se former à la gestion d’entreprise, cette battante crée SunBox. Un kit solaire capable de fonctionner hors réseau.  Les composants sont importés de Chine et du Canada et sont adaptés pour répondre aux besoins locaux. Il est composé d’un panneau solaire, de capteurs et de batteries. On l’installe sur le toit. Il produit chaque jour de quoi alimenter quatre lampes, une télévision, une connexion internet, un petit réfrigérateur, un lave linge.

Un kit solaire coûte 350 dollars. Trop cher pour beaucoup de familles. Alors elle lance une campagne de financement participatif, fait appel à des investisseurs, et parvient à lever pas moins de 380 000 dollars de fonds. Grâce à ces fonds, sa start-up propose aux familles d’étaler le coût du kit solaire, ou leur offre une subvention  pouvant aller jusqu’à 100 % du prix selon leurs revenus. Deux familles se partagent souvent une installation, pour en alléger le coût. 65 000 autres ont pu bénéficier du kit solaire.

SunBox emploie à présent 35 personnes. Rien n’a découragé cette battante qui a toujours le sourire. Ni les processus compliqués pour obtenir les autorisations d’importer les composants depuis l’étranger. Ni les pourparlers avec l’armée, les responsables palestiniens et israéliens, ni les préjugés et la misogynie parfois…

Avec ses collaborateurs , elle équipe de nombreux camps de réfugiés. L’usine de dessalement de l’eau de Gaza fait appel à elle, afin d’augmenter sa production et offrir aux habitants une eau propre et fraîche.

Continuer à œuvrer pour sa terre

Majd poursuit ses projets et rêve de nouveaux challenges.  Elle souhaiterait équiper d’autres camps de réfugiés, au Liban et en Jordanie. Elle participe également à un projet pilote pour fournir l’énergie solaire à des mosquées de Djeddah et de Ryadh. En 2018, elle sera élue « entrepreneuse la plus créative ».

Majd est aussi de ces personnes qui ont une vision à long terme. Ainsi, parlant de son envie d’étendre SunBox à la Cisjordanie elle dit : « En Cisjordanie ils ont l’électricité, mais ils dépendent beaucoup d’Israël. Si nous voulons créer un pays nous devons être autonomes. »

Celle qui explique avoir toujours voulu voyager, ressentant enfant que Gaza était trop petit pour elle, a pu aujourd’hui découvrir beaucoup de pays. Elle raconte combien chaque sortie de l’enclave est compliquée à obtenir, souvent purement et simplement interdite. Pourtant Majd continue à découvrir le monde, mais assure qu’elle ne voudrait vivre nulle part ailleurs qu’à Gaza.

Hayat Belhaj

Youssef Ibn Tashafin, grand dirigeant du Maghreb

Non seulement grand chef de guerre mais aussi fondateur de la ville ocre de Marrakech, Youssef Ibn Tashafin permettra l’expansion de la foi islamique dans toute sa contrée. Il a régné sur un immense empire : le Maroc, l’ouest de l’Algérie, la Mauritanie, le Sénégal, l’Espagne, le Portugal. Il aura marqué l’histoire de l’islam mais aussi celle du Maghreb et du monde musulman. Portrait

Youssef Ibn Tashafin As-Senhaji est né entre 1006 et 1009 dans le grand Sahara. Il est le premier Sultan de la grande dynastie des Almoravides. Originaire d’un groupe de tribus berbères nomades sahariennes qui se déplaçaient entre le Sénégal et le Sud du Maroc. Ces tribus faisaient parties du grand groupe des Senhajas qui se sont convertis à l’islam au IXe siècle.  Après avoir effectué le grand pèlerinage à la Mecque, le chef d’une des tribus, nommé Yahya Ibn Ibrahim, prend conscience des erreurs commises au niveau des croyances et pratiques religieuses. Il décide alors de retourner dans son pays accompagné d’un savant en sciences religieuses nommé Abdallah Ibn Yasser afin de leur enseigner les règles de l’islam et fonde ainsi le mouvement des Mourabitounes (Almoravides en français), qui est une confédération de tribus mais aussi une confrérie religieuse reprenant les principes du rite malékite.

Abdallah Ibn Yasser est un prédicateur rigoureux qui impose aux nomades le respect des règles de l’islam mais ceux-ci trouvent ces obligations insupportables. Après plusieurs années de prédication, il les abandonne et crée le « Ribat », un couvent religieux et militaire strict où sont formés des moines-soldats. Après la mort de Yahya, c’est son frère Abu Bakr Ibn Omar qui reprendra les rênes. Youssef a déjà plus de trente ans lorsqu’il rejoint le mouvement des Mourabitounes. 

Zayneb Al Nafzawiya, « Reine de Marrakech »

Zayneb Al Nafzawiya, l’épouse de Youssef Ibn Tashafin, avec qui il aura deux enfants, est la femme la plus célèbre du Maroc. Youssef est son quatrième époux. Zayneb est originaire d’une région près de la vallée de l’Ourika. Issue d’une famille instruite, elle reçut un apprentissage important dès son plus jeune âge. Quand le souverain s’installe à Marrakech, il n’est qu’au début de ses conquêtes. Zayneb sera une excellente conseillère politique, une stratège qui assistera son époux. Elle est tellement éloquente et experte en négociations politiques qu’on la surnomme « la magicienne ». Elle gouverne en l’absence de son époux et dessine les plans de la ville rouge. C’est à partir des plans de son épouse, qu’Ibn Tashafin fait construire la ville. Construction de mosquées, madrassas, et plantation de la palmeraie auront lieu durant son règne. Son influence change aussi les mœurs du Maroc. En effet, elle permet aux femmes de se mettre au-devant de la scène et ainsi participer à la vie politique.

Le mausolée d’Ibn Tashafin se trouve actuellement à Marrakech non loin de la mosquée Koutoubia

L’Andalousie

Une fois installé dans la ville impériale de Marrakech, Youssef continue ses campagnes vers le nord et fait tomber : Fès, Tanger, Tlemcen, Sebta, Oran, Alger avec  pour objectif de combattre l’injustice. Al Mutamid, prince ommeyyade, qui règne en Andalousie fait appel à Youssef car il est sous la menace d’Alphonse de Castille.  Selon le livre de Shawki Abu Khalil, les deux troupes adverses campent à Badajoz. « Ibn Tashafin donne le choix au roi Alphonse entre trois options : se convertir à l’islam, payer le tribut pour les musulmans ou s’apprêter au combat,… »

Celui-ci choisit de combattre. Youssef grand stratège militaire parvient à vaincre les armées croisées de Zallaqa (Sagrajas) et arrête ainsi la Reconquista. Sa gloire est reconnue jusqu’en Orient où Al-Ghazali fait ses éloges auprès du calife abbasside de Bagdad qui le nommera « Amir Al Mueminin » (prince des croyants) et défenseur de la foi. Ibn Tashafin mènera ensuite une campagne contre les dirigeants en Andalousie et rétablira ainsi l’ordre et la réunification du territoire. Il s’empare des villes de Grenade, Almeria, et Badajoz et avance jusqu’à Lisbonne. Seule la ville de Valence lui résistera.

Youssef Ibn Tashafin aura régné sur un immense empire de 4 millions de mètres carré qui s’étend du Tage jusqu’au Sénégal, à cheval entre l’Afrique et l’Europe et dont la capitale était Marrakech. Il aura joué un grand rôle dans l’expansion de l’islam. Il aura répandu le rite malékite dans tout le Maghreb et aura créé un système monétaire unifié jusqu’au nord de l’Europe. Son fils Ali reprendra le flambeau après sa mort mais son empire sera très vite remplacé par un autre empire berbère nommé : Al Mohaddes (1147-1269).

Le mausolée d’Ibn Tashafin se trouve actuellement à Marrakech non loin de la mosquée Koutoubia.

                                                                                                                                                 I.Senh

Bibliographie : 

Jamais sans mes fils, le combat d’une mère pour revoir ses enfants

Le 20 juillet 2017… c’est la dernière fois que Naziha Mahmoudi voit ses enfants Nohe et Ibrahim, date à laquelle elle les envoie en vacances à Dubaï chez leur père. Un voyage sans retour, leur père décidera de ne jamais les laisser rentrer. 1695 jours… soit quatre ans et demi de souffrance, de larmes, de combat pour que justice lui soit rendue ainsi qu’à ses enfants.

Naziha Mahmoudi n’a que 19 ans lorsqu’elle rencontre celui qui deviendra bien plus tard son mari, Youssef. « A cette époque-là, je ne me voyais pas me marier aussi jeune, donc nos chemins se sont séparés. Quatre ans plus tard, nous sommes amenés à nous recroiser lors d’évènements associatifs et nous nous marions à la fin de l’année 2005. L’année suivante, il ouvre un restaurant et il fait la connaissance d’un chef qui lui parle de Dubaï. » Très vite, Youssef désire tenter l’aventure dans ce nouvel eldorado, mais de manière assez précipitée. « A ce moment-là, je n’ai absolument pas l’envie de partir m’exiler à l’étranger. Je suis en fin de grossesse de mon premier fils, Nohe. Un an auparavant, j’avais fait une fausse couche qui a été assez éprouvante psychologiquement et je vivais cette nouvelle grossesse dans l’angoisse la plus totale. Mon fils naît finalement en bonne santé le 11 février 2009. En mai, Youssef décide de partir à Dubaï pour 20 jours, mais il ne reviendra finalement jamais… mon fils est alors âgé de 3 mois, et il est hospitalisé. Donc la dernière chose dont j’ai envie à ce moment-là, c’est de tenter l’aventure à l’étranger. Il souffre du syndrome d’apnées obstructives du nourrisson et de reflux. Chaque jour, j’ai la peur au ventre qu’il parte d’une mort subite du nourrisson, il restera sous monitoring jusqu’à ses 6 mois. Mes débuts d’expatriée sont donc ponctués d’allers-retours entre Bruxelles et Dubaï. Lorsque je reviens à Bruxelles, j’entends parler de dettes qu’il aurait laissées derrière lui, notamment plusieurs fournisseurs de son restaurant, je comprends très vite les raisons de son insistance pour partir à Dubaï, son départ était une sorte de fuite. »

La dernière fois que leur mère les voit, Nohe et Ibrahim sont âgés de 8 et 6 ans

Une nouvelle vie démarre

Quelques mois plus tard et à contrecœur, Naziha le rejoint pour de bon. « C’était véritablement une déchirure pour moi, cela m’a été imposé. Vivre à Dubaï n’était clairement pas mon choix… Il est parti pour un court séjour mais il n’est pas revenu,  j’ai dû gérer un appartement seule, régler toutes les démarches avant de pouvoir quitter la Belgique définitivement. J’ai laissé derrière moi mes parents âgés et ma maman avec beaucoup de problèmes de santé, ainsi que toute ma famille et mes amies, tous mes repères. Une fois sur place, la solitude rythmait mon quotidien. Je sortais très peu et passais mes journées à m’occuper de mon bébé. Cela a duré au moins deux, trois années, avant de pouvoir m’habituer à cette nouvelle vie. Youssef passe lui énormément de temps à lancer ses affaires, je le vois de moins en moins au point de ne plus le croiser que deux à trois heures dans la semaine… mes 3 dernières années à Dubaï, il quitte carrément le domicile conjugal et dort « au bureau », d’après ses dires. »

Tant bien que mal, Naziha se concentre sur l’éducation de ses enfants sur qui elle reporte toute son attention et son énergie. Son deuxième fils Ibrahim naît le 25 juillet 2011. « Il a refusé que j’accouche à Bruxelles, je donne donc naissance à Ibrahim à Dubaï seule, sans ma famille, heureusement ma belle-mère viendra m’épauler pendant un mois. »

En décembre 2016, Youssef lui fait part de son envie de partir « quelques jours » au Maroc. « C’est comme si le même scénario recommençait : il me dit qu’il part pour 20 jours qui se transformeront en 6 mois… Je me retrouve seule à Dubaï à devoir tout gérer et je me sens dans une totale insécurité parce que j’apprends qu’on le recherche de nouveau pour une histoire de dettes. J’ai très peur des représailles sur mes enfants ou moi, je me sens complètement livrée à moi-même. Parallèlement, je n’ai que très peu de nouvelles de lui, il m’appelle à raison d’une fois par mois et je ne comprends absolument pas ce qui se passe. Au bout de 4 mois, en avril 2017, il désire revoir ses enfants, je le rejoins donc au Maroc 2 semaines, et je me rends compte qu’il loge dans un hôtel 5 étoiles et qu’il ne se prive de rien, les vacances sont magnifiques… et il fait comprendre aux enfants que la vie au Maroc est superbe, mais je m’oppose à cette idée ; une fois mais pas deux. Je ne veux pas qu’il laisse des gens lésés derrière lui dans chaque pays où il met les pieds et à chaque fois fuir ses responsabilités. » Naziha rentre à Dubaï, les enfants reprennent le chemin de l’école mais elle reste sans nouvelles de Youssef pendant plus d’un mois. Il finira par rentrer à Dubaï mi-mai, sans prévenir, soit au bout de 6 longs mois d’absence. « Et là, la coupe est pleine, j’ai vécu cette longue absence sans aucune explication de sa part, j’entends qu’il a de gros problèmes avec plusieurs personnes, notamment ses employés, on ne partage plus aucun principe, ni valeur et je parle de divorce. A ce moment-là, il comprend ma position et propose qu’on fasse cela à l’amiable. Nous nous projetons pour la suite et parlons même d’inscrire les enfants à l’Ecole Européenne de Bruxelles. Il décide de partir pour l’Arabie Saoudite, et moi je rentre à Bruxelles avec mes enfants. Il me donne le numéro d’une avocate pour la procédure de divorce à l’amiable, mais dans mon malheur, ce sont les vacances judiciaires, je n’ai donc aucun rendez-vous avec cette avocate avant le mois de septembre. Il insiste en me demandant de lui envoyer les enfants pendant un mois, du 20 juillet au 28 août 2017. Il m’envoie déjà un colis à Bruxelles avec des cadeaux et vêtements qu’ils devront porter le jour de l’Aïd à Bruxelles qui était prévu cette année-là le 1er septembre. Il y a également dans le colis l’acte de naissance d’Ibrahim pour que je puisse faire toutes mes démarches administratives à Bruxelles. Il me rassure sur plusieurs points et finalement, j’accepte, car pour moi, même si un couple décide de divorcer, aucun des parents n’a le droit de priver l’autre de voir ses enfants. »


Depuis 8 mois, Naziha est sans nouvelles de ses deux fils

Un départ sans retour

Naziha n’est pas totalement rassurée, elle ne préfère pas les envoyer tant qu’aucun cadre juridique n’est défini mais le père de ses enfants lui promet qu’ils seront de retour très vite, un billet d’avion aller/retour est même réservé. « Le 20 juillet 2017, ils prennent donc le vol et ce sera la dernière fois que je les verrai. Ibrahim, mon petit dernier, a fait une crise de larmes à l’aéroport et refusait de partir. Mais n’ayant qu’une parole, j’ai dû le laisser partir dans cet état, en respectant ma promesse vis-à-vis de leur père. Au début, je les ai au téléphone tous les jours. Leur père m’envoie même des photos des enfants avec des manteaux, des bonnets parce qu’il désire leur acheter, tout ce qu’il faut pour leur prochain hiver en Belgique, afin de m’alléger les frais… Il me promet qu’il fera tout pour qu’on soit bien. Que même si nous n’avons pas réussi notre mariage, il fera tout pour que nos enfants soient heureux, qu’on le fera ensemble main dans la main, afin qu’ils soient préservés psychologiquement… mais c’était un leurre, il souhaitait m’amadouer pour que je ne me doute pas un seul instant de ce qu’il tramait. A quelques jours de leur retour, il prétexte que les enfants doivent subir une opération des dents pour repousser de deux jours la date du retour. J’accepte parce que deux jours, cela me semble raisonnable. Mais la veille de l’opération, je n’arrive pas à les joindre. Le jour J, non plus. Sans nouvelles, j’appelle le cabinet dentaire à Dubaï qui m’informe que les enfants ont été reçus en consultation mais qu’aucune opération n’est prévue… A ce moment-là, je comprends que je ne les reverrai plus et j’ai le sentiment de tomber du haut d’un immeuble… c’est le trou noir, la violence du choc est terrible, c’est comme si on m’arrachait le cœur… »

Le début d’un long combat

Très vite, Naziha porte plainte pour enlèvement d’enfants. Un premier jugement statue en sa faveur et lui donne la garde exclusive et l’hébergement des enfants en Belgique. « Après l’annonce du verdict belge, de son côté, il saisit aussi les tribunaux émiratis en prétextant un  abandon d’enfants et obtient lui aussi la garde et la répudiation, sans qu’aucun droit à la défense ne m’ait été octroyé. Mon avocate et moi n’apprendront cela que bien plus tard, aucun recours en appel n’a donc pu être introduit. Mais internationalement, c’est le jugement de la première juridiction saisie qui compte, c’est donc le jugement en ma faveur qui prime. Malheureusement, Dubaï n’a pas ratifié la Convention de La Haye, qui aurait permis très vite le retour des enfants. De plus, les juridictions émiraties n’ont fait aucune enquête sociale pour vérifier ses dires et voir si j’étais ou non encore sur le territoire et ont donc supposé que je refusais de me rendre à la convocation. Très vite, il demande aussi une interdiction de sortie du territoire des enfants sans son autorisation et celle-ci lui est accordée. » Aujourd’hui, quatre ans et demi plus tard et après de nombreuses audiences, dont les jugements sont tous en sa faveur, Naziha n’a toujours pas pu revoir ses enfants. Quatre ans et demi sans voir leur visage, sans les toucher, sans les voir grandir… « Près de 20 audiences qui le condamnent toutes. Un mandat d’arrêt international a été émis le 11/09/2018. Il a, à chaque fois, fait appel des décisions de justice qui rallonge la procédure. Aujourd’hui, la dernière étape, c’est la Chambre des Mises en Accusations qui décidera ou non du renvoi de l’affaire en correctionnel. Si c’est le cas et qu’il est déclaré coupable, il risque une lourde peine de prison et Dubaï devra alors appliquer le jugement belge. »

Cette année 2022 est la dernière que je veux passer sans eux, cela n’a que trop duré, leur absence est chaque jour plus insupportable

Naziha Mahmoudi

La dernière année sans eux

Mais l’audience a été reportée trois fois déjà… « C’est très dur physiquement et émotionnellement, ce sont à chaque fois des déceptions qu’il faut surmonter. Mais cette année, j’ai décidé de médiatiser mon histoire pour peut-être essayer de débloquer la situation, pour qu’on puisse m’indiquer des personnes clés qui pourraient m’aider à me défendre à Dubaï et à faire au moins valoir mon droit de visite là-bas, avant d’autres étapes. Cette année 2022 sera aussi la dernière année que je veux passer sans voir mes enfants, leur absence n’a que trop duré, elle devient chaque jour de plus en plus insupportable et il faut que cela cesse. Mon seul souhait est qu’ils ne soient pas trop impactés psychologiquement, que mon absence et toutes les conséquences qui en ont découlé ne les affecteront pas plus tard dans leur vie d’adulte. » Nohe et Ibrahim sont aujourd’hui âgés respectivement de 13 ans et 11 ans. « Ils ont besoin de leur maman.  Je les ai quittés enfant, aujourd’hui ils entrent dans l’adolescence… D’avoir perdu définitivement autant de moments précieux de leur vie m’est insupportable, mais je garde espoir que cette année sera l’année des retrouvailles !»

H.B.

Zaha Hadid, une architecte en avance sur son temps

Son style se caractérise par des courbes, des angles aigus, des plans superposés qui donnent à ses créations complexité et légèreté et c’est d’ailleurs pour cela que sa carrière a mis un certain temps à débuter parce que ses projets originaux et novateurs sont jugés difficile à construire. Portrait

Zaha Hadid est née le 31 octobre 1950 à Bagdad en Irak, dans une famille sunnite de la classe supérieure. Son père, Muhammad Al Hajj Hussayn Hadid était un riche industriel de Mossoul. Il était l’un des fondateurs du groupe politique de la gauche libérale entre 1930 et 1940, il a été le co-fondateur du parti national démocrate en Irak.  Sa mère Wajiha Al-Sabunji était une artiste originaire de Mossoul.

Dans les années 1960, son père l’envoie avec ses deux frères en Europe où elle est en pensionnat en Angleterre et en Suisse. Par la suite, elle s’installe au Liban où elle étudie 

les mathématiques, avant de déménager à Londres pour étudier l’architecture. A la sortie de ses études, elle travaille avec ses anciens professeurs et devient leur associée en 1977.

Elle rencontre Peter Rice, l’ingénieur qui l’a aidée et encouragée à une période où ses œuvres semblent difficiles à construire. 

En 1980, elle crée sa propre agence à Londres. Durant ces années, elle enseigne également dans les plus prestigieuses institutions internationales. 

Toutefois en 1993, elle parvient à réaliser son premier bâtiment : la caserne des pompiers de l’entreprise Vitra en Allemagne. L’ouvrage révèle déjà le style déconstructiviste de l’architecte. Sa créativité l’a poussée à s’éloigner des schémas architecturaux classiques.

Les années suivantes, elle enchaîne les constructions dans de nombreux pays du globe.

En 2004, elle reçoit le prix Pritzker et c’est la première femme à l’obtenir. C’est une reconnaissance qui couronne l’une des plus grandes architectes du déconstructivisme, un mouvement qui refuse la rationalité et l’ordre linéaire. Elle est la deuxième architecte à bénéficier de cet honneur après Frank Gerhy.

La même année, elle reçoit un titre honorifique de l’université américaine de Beyrouth. 

Elle est classée par le magazine Forbes au 69ème rang des femmes les plus puissantes du monde.

En 2012, elle est désignée pour la construction du stade olympique national de Tokyo mais son projet est très critiqué. Plusieurs architectes japonais le désapprouvent et ces réactions pouvant éventuellement venir du dépit de voir une femme étrangère remporter ce concours.

Ses structures sont souvent irrégulières et courbées reposent sur une impression de dynamisme et de mouvement. Elle avait la volonté de marier son architecture à l’environnement qui l’entoure et utilise également différents matériaux comme le verre, le plastique, le titane ou encore l’acier. 

Elle a pu réaliser une vingtaine d’œuvres d’art. 

En 2016, Zaha Hadid réalise la dernière œuvre architecturale de son vivant : Le Havenhuis du port d’Anvers en Belgique. Recouvert de verre, le bâtiment est à l’image de sa carrière, innovant et spectaculaire !

Zaha Hadid est décédée à Miami le 31 mars 2016 à l’âge de 66 ans des suites d’une crise cardiaque. 

Toutefois, même après sa mort, son entreprise continue d’être l’un des principaux points de référence du panorama architectural actuel. 

                Samira Boufous

Quand l’islam s’invite dans une maison juive

Qui n’a pas entendu parler de ces belles âmes charitables qui invitent chez elles des réfugiés, venus de loin, très loin, qui ont traversé des périples horribles ? Des récits à nous glacer le sang. Des récits qui nous rappellent notre confort, la chance d’être nés dans un pays avec des droits… J’ai fait de très belles rencontres d’hébergeuses qui accueillent chez elles des personnes ayant traversé, au risque de leur vie, la mer, la misère, la torture, côtoyé la mort, pour arriver en Europe, avec l’espoir d’un avenir meilleur. Ces personnes sont appelées nos amis ou les invités afin de donner un côté plus humain, moins stigmatisant. Je vous livre aujourd’hui une de mes plus belles rencontres. Celle de Karine qui accueille Abdallah. Karine est juive et Abdallah musulman. 

Il arrive que des hébergeurs et hébergeuses n’ouvrent leur porte que le temps d’une nuit ou deux. Ce qui est déjà formidable. Ils permettent à nos amis d’être à l’abri du froid, de la pluie, de la faim et du danger de la police. Ils leur permettent également de prendre une douche, avoir du wifi pour contacter leurs proches, laver leurs vêtements, se confier s’ils le désirent. Ensuite retour au parc ou dans une autre famille d’accueil. 

D’autres accueillent à plus long terme, créant des liens, leur confiant les clés, … et considèrent leur invité comme un membre de la famille. J’ai eu le bonheur de rencontrer ce genre d’hébergeuses. Que vous dire … ? Un don de soi, un partage qui est rare. 

J’ai fait la connaissance de Karine via une autre hébergeuse. Il faudra des mois avant qu’elle ne me confie qu’elle est juive. Après avoir perçu ‘mon ouverture d’esprit et la tolérance’. 

Abdellah, lui, a directement montré sa religiosité. Dans les paroles mais aussi et surtout dans les actes. Malgré les épreuves, il tient fermement à sa foi. Ou plutôt grâce à sa foi, il surmonte les épreuves. Manger halal est une condition sine qua non. Il va jusqu’à lire les étiquettes sur les paquets de biscuits et autres. Il jeûne les lundi et jeudi, le mois de Ramadan, lit le Coran, prie la nuit, ses prières quotidiennes, va à la mosquée, … Dans sa recherche d’emploi, il n’a qu’une seule exigence : faire sa prière à l’heure. Karine me confie qu’il connaît le Coran par cœur et que ses connaissances sont bien maîtrisées. Elle a plusieurs fois tenté de le déstabiliser ou lui poser une colle mais en vain. Il maîtrise. Et elle adore leurs échanges. Il lui explique les similitudes entre les deux religions, les 3 même, lui parle des différents prophètes, …

Une lumière sur le visage

Elle ne comprend pas sa colère contre les caricatures … après tout, ce ne sont que des dessins. Avec émotion, il lui raconte combien le Prophète, pbsl, est sacré, bien plus que notre propre personne. Avec pudeur, elle le comprend maintenant.  Abdallah a une lumière sur son visage qui est très impressionnante. Des paroles douces, qui plaisent à Allah. Et un sourire qui ne le quitte pas. Il marque les petits et les grands.  Karine est folle d’inquiétude pour lui. Elle en a eu des invités mais lui, ce n’est pas pareil, me confie-t- elle. Elle a dépensé des sommes énormes pour sa demande d’asile, pour l’aider à passer en Angleterre, payer les avocats, chaussures, vêtements, pour acheter un scooter, le lancer dans les livraisons Uber, … 

Des cours de Coran donnés dans une maison juive

Elle me confie que Abdellah a un amour pour le Coran tellement immense qu’elle le voit bien l’enseigner. Et il apprécie beaucoup les enfants.  Je lui propose donc un petit job qui allie les deux : il a quelques fois donné des cours de Noraniya[i] à mes enfants ainsi que la correction des sourates. La première fois, ils y sont allés avec des pieds de plombs. Ils sont ressortis de là sous le charme. Eux parlent français, lui l’anglais. Et malgré cela, il a su leur parler, avec le cœur. Ils m’ont dit combien il était doux, attentionné et qu’il ne faisait que sourire… Quand ils se trompaient, il les encourageait, les félicitait. Il n’a aucun revenu mais a refusé que je lui donne des sous…Il le fait pour Allah. Pas possible pour lui de faire payer le Coran.   Karine lui a beaucoup apporté et continue de le faire. Elle s’est parfois arraché les cheveux pour lui. Mais pour rien au monde elle ne le lâcherait. Il fait partie de sa famille maintenant.  Abdallah a permis, avec douceur, patience et fermeté, à cette hébergeuse de comprendre plein de choses, d’éclairer des zones d’ombre, d’instaurer un respect… de faire entrer l’Islam dans une maison juive.  

Fatima J.


[i] La méthode Nourania (القاعدة النورانية) ou al Qaeda Nourania est un système d’apprentissage de la langue arabe aux moyens du Quran. … En résumé, cette méthode offre à l’apprenant un moyen efficace d’apprendre l’alphabet arabe, sa prononciation correcte et les règles du tajwid du Quran par la même occasion.

Touria Chaoui, première femme pilote du monde arabe

Longtemps oubliée, aujourd’hui Touria Chaoui est réhabilitée dans les livres d’histoire marocains mais pas uniquement. Cette pionnière au caractère fort et à l’intelligence rare a su marquer les esprits à une époque où les femmes qu’elles soient européennes ou maghrébines n’avaient pas encore le droit de vote.  Portrait

Touria Chaoui nait à Fès en 1936 au sein d’une famille bourgeoise, laquelle s’installe à Casablanca en 1948. Son père, Abdelwahid est un intellectuel. Journaliste d’expression française, acteur, metteur en scène, c’est aussi un nationaliste convaincu. Car le Maroc est alors en plein sous le régime du protectorat français. Dans l’entourage de la jeune Touria gravitent des personnalités telles que Allal El Fassi ou Ahmed Balafrej, qui œuvrent pour en finir avec la présence française. A ce titre, la famille Chaoui a déjà essuyé un attentat à la bombe visant sa villa. Imprégnée de ce qu’elle peut voir et entendre dans sa sphère, Touria révèle une personnalité forte et déterminée, ainsi qu’un esprit vif et curieux.

Soucieux de stimuler son esprit, son père la pousse à réaliser des choses qui, dans la société marocaine d’alors, sont autant de signes d’une éducation d’avant-garde. Ainsi de ce concours littéraire auquel il l’encourage à participer ou de ce film, « La 7ème porte », où elle apparaîtra dans un petit rôle à ses côtés.

Une passion précoce et une détermination étonnante

Lorsqu’à 14 ans elle déclare vouloir passer son brevet de pilotage, son père la soutient. Le fait même que la seule école d’aviation ( l’Ecole des Ailes chérifiennes de Tit Mellil) soit réservée à l’élite française et masculine, ne les fait pas douter.

Accueillis fraîchement, le père et la fille finiront par arracher une inscription.

Sa formation est semée d’embûches. Ainsi de cet examen final consistant en un vol solo, réalisé un jour d’orage violent, que la direction n’a pas souhaité déplacer.

En 1951, forte de sa persévérance, Touria décroche à l’âge de 16 ans son brevet de pilote, et devient la première femme pilote du monde arabe. Le Maroc entier découvre alors son visage, et le Sultan Mohamed ben Youssef la reçoit au palais royal pour la féliciter. La presse internationale s’en fait l’écho. Des associations de femmes la sollicitent pour venir parler en faveur de l’éducation des filles. Touria s’engage dans des activités féministes et militantes.

La famille apprend être sur la liste noire des autorités françaises et se réfugie un temps en Espagne. Leur retour au Maroc coïncide avec celui du Sultan, rentré d’exil, fin 1955. En ce moment de joie populaire, Touria effectue un survol du palais royal en signe de bienvenue, balançant des tracts en faveur de l’indépendance du Maroc.

De la renommée à l’oubli

Le Maroc sera indépendant quelques mois plus tard le 2 mars 1956.

Quant à elle, elle ne le verra pas, assassinée dans sa voiture à bout portant devant son petit frère le 1er mars, c’est-à-dire la veille de l’indépendance. Elle a 20 ans.

Le crime ne sera jamais élucidé officiellement. Crime passionnel ? Crime politique, perpétré à cause de ce qu’elle représentait en matière d’émancipation des femmes ? La vérité, réclamée par les milliers de Marocains sous le choc, accompagnant le cortège funèbre, ne viendra pas. L’histoire l’a oubliée pendant des décennies. Les manuels scolaires marocains n’en ont guère parlé. Ces dernières années, des auteurs et des chercheurs ont commencé à réhabiliter sa mémoire. Son petit frère Salah Eddine Chaoui a écrit un livre : « Ma sœur Touria, première aviatrice du monde arabe. »

Si à Clermont Ferrand une rue porte son nom depuis 2014, il faudra attendre encore un peu pour voir Salé, Casablanca, Berkane et El Jadida lui rendre hommage.

Ainsi, chacun peut désormais au détour d’une rue, s’interroger sur cette jeune femme pionnière, en avance sur son temps, qui réussit contre tous les pronostics, à saluer les étoiles.

Hayat Belhaj

Le message de Philippe Grenier à la France du XXIème siècle

Le 20 décembre 1896, à la surprise générale, le premier député musulman de l’Histoire de France, est élu au second tour comme député de Pontarlier face à un avocat. L’Islam bouleverse les vies et Philippe Grenier est l’exemple vivant d’un converti qui a frappé les esprits de son époque, par son éthique et ses projets de réformes sociales.    

Élevé dans les principes les plus stricts du catholicisme, Philippe Grenier est né en 1865 à Pontarlier, commune de France.

Après ses études de médecine à Paris, il décide de s’installer dans sa ville natale en tant que médecin. Très vite, son altruisme, son dévouement et sa bonté envers ses patients, surtout les plus démunis auxquels il ne fait pas payer les consultations, feront de lui « le médecin des pauvres » et gagneront les cœurs des habitants.

Voyage en terre d’Algérie

Profitant de passer des vacances chez son frère militaire à Blida, en Algérie, Philippe Grenier est fasciné par le comportement et la foi musulmane de cette colonie française. Il s’intéresse au Coran et à ce qui y est révélé, allant jusqu’à apprendre quelques sourates. Il apprécie notamment la tenue traditionnelle algérienne, la gandoura, le burnous et le turban ; trouvant, en tant que médecin, que cet habit est plus hygiénique que le costume européen qu’il a l’habitude de porter.

En 1894, Philippe Grenier se convertit à l’islam et fera son pèlerinage à la Mecque, il avait 29 ans. Ce qui va affecter son envie d’action et de réforme sera la manière dont la France maintient les Algériens musulmans dans la misère, notamment en leur refusant la citoyenneté et le droit à l’instruction. Alors, qu’à la même époque, les juifs d’Algérie  avaient ce droit.

L’aventure parlementaire

A son retour en France, il s’engagea, non seulement auprès des plus démunis, mais aussi politiquement dans des réformes sociales et d’hygiène publique. Connu dans la région et apprécié sans que sa foi musulmane soit problématique, il se présente aux élections législatives de 1896.

Et à la grande surprise générale, il fut élu à 51% de vote contre 49%  face à son adversaire.

La Petite Gironde titre à la une : 

« On avait déjà beaucoup de candidats ; on en compte un de plus aujourd’hui. Ce dernier, le docteur Philippe Grenier, M. le « prophète de Dieu ».

Lors de la rentrée parlementaire, le 12 janvier 1897, il fut l’objet de toutes les attentions et mêmes de moqueries, en se présentant en habit traditionnel berbère.

Lynchage médiatique parisien

Pendant un an et demi, la presse scrute le mandat du député Grenier, et mènera une campagne de dénigrement contre lui. Lors d’une conférence de presse, Philippe Grenier répond aux questions des journalistes (Le Matin, Le Gaulois, Le Journal, Le National, Le Soir et La Patrie).

« Je siégerai avec mon burnous et je ferai mes prières là où je me trouverai. (…) Sans doute aurai-je des désillusions, mais je n’en continuerai pas moins la lutte. »

« Je me suis converti par gout, par penchant, par croyance et nullement par fantaisie, comme on a insinué dans la presse. (…) J’ajoute que les prescriptions dans la foi musulmane sont excellentes puisqu’au point de vue social, la société arabe est basée tout entière sur l’organisation de la famille et que les principes d’équité, de justice, de charité envers les malheureux y sont seuls en honneur ; et qu’au point de vue de l’hygiène, elle proscrit l’usage des boissons alcoolisées et ordonne les ablutions fréquentes du corps et des vêtements. »

« Je fais, il est vrai, ma prière lorsque je rentre à la Chambre des Députés, mais est-il extraordinaire qu’avant d’accomplir des actes qui peuvent peser sur les destinées de mon pays et avoir les conséquences les plus graves, je demande à Dieu de me diriger et de m’éclairer dans ma conduite ?»

« Le Coran contient des sagesses dans sa doctrine. Le Coran est certes un code religieux, mais c’est plus que cela, c’est un code moral et un code civil. »

Ses prises de position et son programme social

– Un rapprochement de la France avec la population musulmane des colonies, ce qui permet d’augmenter son influence en Afrique grâce à la diffusion de l’instruction. Il compilera des données, des informations et se battra pour défendre la cause de ceux qu’on appelait «les indigènes».

– Il dépose un projet de loi concernant la défense nationale. Il propose de faire appel aux troupes coloniales pour compenser l’isolement stratégique de la France face à l’Allemagne (quelques années plus tard, l’Allemagne, forte en nombre, va envahir la France : la première guerre mondiale éclatera en 1914). Il propose de créer une armée coloniale grâce aux populations algérienne, tunisienne, sénégalaise et d’Indochine, et de les rémunérer en tant que militaire des colonies françaises.

– Son opposition à la consommation d’alcool lui vaut une hostilité de plus en plus vive dans sa circonscription, où la production d’absinthe est importante. En effet, Pontarlier est la capitale mondiale de la fabrication de ce spiritueux très alcoolisé, qui fait vivre économiquement toute la région. Son projet consistait à réduire le nombre de débit dans les bistrots et de taxer fortement l’absinthe. Cette lutte impopulaire contre ce fléau de « la fée verte » qui ravage les ouvriers et les plus démunis face au lobby des productions d’absinthe, lui valut son arrêt de mort électoral aux élections de 1898.

– Il dénonce les injustices sociales et l’excès de luxe et de privilèges de ses compatriotes, députés de l’Assemblée Nationale. Il sera la risée de la presse de l’époque, et celle-ci ironisera sur les causes qu’il défendait. Celle-ci le considérera comme un illuminé, un fou et un être ayant perdu tout contact avec la société.

Citoyen et homme de foi

A la fin de son mandat, il ne sera plus réélu même s’il s’était présenté par deux fois. Ainsi, il reprendra son activité médicale en 1898 en continuant à être dévoué à la cause des « petites gens», et écrira aux administrateurs coloniaux et aux grands de ce monde afin de passer un message d’humanité et d’humanisme : accepter l’autre dans sa différence et dans sa religion. Oublié par la presse et la population, on entendra le nom de Philippe Grenier, lors de l’inauguration en 1925, de la Mosquée de Paris. Il meurt à l’âge de 79 ans, le 25 mars 1944, à Pontarlier. Une mosquée et une école portent son nom dans sa ville natale.

Najoua

Pour en savoir plus :

*www.retronews.fr_ site de presse de la Bibliothèque Nationale de France (BNF), espace de consultations d’archives afin de connaitre l’histoire à travers les coupures de presses, radios et télévisuelles. Créé en 2012, documents numérisés.

*Livre : SALLEM Sadek, L’Islam et les musulmans de France, (Edition Tougui, 1987)