Je viens de finir un livre…

« Au fait, je viens de finir un livre ! »

« Ah oui ? Ça raconte quoi ? »

« Ben c’est l’histoire d’un figuier qui parle… »

Quoi de plus banal que ces échanges entre collègues ou copines, où l’on essaie de rendre en quelques mots l’aventure romantique, angoissante ou palpitante qui nous a accompagnée quelques soirées durant.

Mais certains livres ne se résument pas en trois phrases entre deux tâches du quotidien. Ce serait sacrilège. Il faut faire honneur à leur style subtil et imagé. Ces livres là ne sont pas pressés, ils invitent à calmer la frénésie du tourbillon de la vie, à ralentir sa respiration, à freiner le pas. Alors, quand vous acceptez d’être ce lecteur patient et prêt à découvrir ce qu’il veut vous offrir, vous pouvez tourner la première page, et avancer d’un pas timide, prêt à recevoir.

Étonnant et original, voilà deux mots qui peuvent qualifier «  L’île aux arbres disparus » d’Elif Shafak.  Ce récit qui prend parfois des allures de conte, nous fait voyager à travers les lieux et les époques. On observe l’impact du deuil et du cyber harcèlement sur une adolescente londonienne, puis on plonge dans les amours clandestines d’un jeune couple lors de la guerre civile qu’à connue l’île de Chypre dans les années 70.

Tour à tour, on regarde les humains vivre et se débattre, mourir aussi parfois, et on écoute un arbre centenaire raconter…

Parmi les nombreux thèmes qui se mêlent et s’entrecroisent comme les racines du figuier, il y a donc la guerre, le nationalisme, et l’intolérance de tous bords. 

C’est aussi un incroyable hommage à la nature, qui vous fera voir l’oiseau  persévérant, le papillon fragile, la forêt mystérieuse et bavarde, avec un regard inédit. On se sent tout petit, et on reprend avec humilité sa place d’humain, modeste maillon parmi les maillons de la chaîne universelle.

Le fil d’Ariane qui nous guide d’un bout à l’autre du livre, c’est la mémoire familiale, le poids des secrets et des non-dits sur les jeunes générations, et la valeur libératrice de la parole, quand elle circule sainement et avec bienveillance. 

Je viens de finir un livre, disais-je donc. C’est l’histoire d’un figuier qui parle et qui m’invite, moi enfant d’exilés, à m’enraciner  dans la terre qui m’a vue naître et à y prendre ma place. A considérer le monde riche et complexe qui m’entoure et à voir la valeur et l’apport de chaque être qui y contribue, si petit soit-il. Le vieux figuier me rappelle aussi que j’ai des racines et que toujours elles feront partie de moi. Car ce sont mes racines qui font que mes feuilles sont vertes et soyeuses…

Un beau livre, doux, mélancolique, d’une fraîcheur inattendue…

Hayat Belhaj 

Hayy Ibn Yaqdhan ou le philosophe sans maître

Connaissez-vous l’histoire de Robinson Crusoë? Ce héros d’aventures du 18ème siècle, qui s’échoue sur une île déserte après un naufrage? Il doit alors organiser sa survie et son quotidien. Nous sommes très nombreux, jeunes et moins jeunes à connaître ce roman riche en péripéties mais aussi riche d’une certaine réflexion psychologique et philosophique. Mais qui parmi nous sait que le personnage de Daniel Defoe s’inspire très généreusement d’une oeuvre grandiose, un bijou de la civilisation musulmane, et qui connut un succès retentissant en Europe? Cette oeuvre c’est Hayy Ibn Yaqdhan, le conte philosophique d’Ibn Tufayl.

Le chef d’oeuvre arabe-andalou qui éblouit l’Europe des Lumières

Abu Bakr Muhammad Ibn Tufayl est un médecin, mathématicien, astronome, philosophe, théologien, d’inspiration soufie. Il vit au 12ème siècle en Andalousie et est connu pour avoir été le mentor d’Ibn Roshd*. Il sera le médecin du calife andalou Abou Ya’qoub Yussuf à Cordoue.

Il se dira lui-même influencé par la pensée d’Aristote et de Platon, mais aussi d’Ibn Baja* (qui introduisit la philosophie en Espagne musulmane au 8ème siècle) par Ibn Sina* et Al Ghazali entre autres.

Son héros s’appelle Hayy Ibn Yaqdhân, traduisez « Vivant fils d’Éveillé ». C’est un nourrisson, qui apparaît sur une île vierge et déserte de l’Inde. Sa naissance est mystérieuse. Est-il arrivé dans un coffre poussé par les flots? Est-il apparu par génération spontanée? Le conte laisse planer le doute…

Toujours est-il que le jeune Hayy grandit et se développe, adopté et allaité par une gazelle (ou une  chèvre selon les traductions).

Au décès de sa mère la gazelle, l’enfant est confronté pour la première fois à l’idée de la mort, et il entre dans une longue observation au terme de laquelle il conclut à l’existence de l’âme, transcendant l’enveloppe charnelle.

Il doit maintenant se débrouiller seul pour survivre et continue d’évoluer, observant l’univers autour de lui, scrutant le monde animal, végétal et céleste. De réflexion en déductions, de contemplation en intuitions, le personnage va comprendre les lois qui régissent le monde.

Son intelligence est pure, il ne subit aucune influence éducative, aucun conditionnement sociétal. Cet état de virginité du cœur et de l’esprit le met dans une posture d’ouverture à la compréhension de la Vérité.

Sa contemplation de l’univers et son raisonnement vont le mener à la compréhension de vérités physiques. Puis, sa méditation et son intelligence du coeur vont le conduire vers des vérités métaphysiques, dont l’existence de l’Être Suprême.

Une allégorie qui fait cheminer le coeur et l’esprit

La question qui est au centre du livre est la suivante: la raison est-elle suffisante à l’homme pour accéder à la vérité? Peut-il faire l’impasse sur la révélation? Pour les penseurs occidentaux qui ont largement commenté l’oeuvre d’Ibn Tufayl, la réponse semble limpide. L’homme se suffirait de la logique et du raisonnement pour accéder à la vérité. Cette opinion transparaît d’ailleurs dans le titre des traductions francophones de l’oeuvre, à savoir « Le philosophe sans maître » ou encore « Le philosophe autodidacte ».

Rien n’est moins sûr cependant pour tout lecteur qui refuse d’occulter le rôle de la Fitra, cette lumière divine présente dans le coeur de tout homme, à l’état de flamme, vacillante ou flamboyante, mais cependant présente…

Ce livre est riche d’enseignements scientifiques: botanique, biologie, astronomie, de nombreuses références dévoilent l’éclectisme et l’érudition de l’auteur.

A lire, à dévorer, à méditer, pour élever le débat et s’élever soi-même…

*Ibn Roshd = Averroes *Ibn Baja = Avempace *Ibn Sina = Avicenne

Hayat Belhaj

« On ne peut pas changer les gens, on peut juste leur montrer un chemin puis leur donner envie de l’emprunter »

Cette phrase est extraite du roman de Laurent Gounelle: « Les Dieux voyagent toujours incognito ». Ce roman s’inscrit dans la mouvance du développement personnel dont l’auteur nous livre les secrets à travers une aventure hors du commun, celle d’Alan Grenmor. Ce jeune personnage, qui pense avoir raté sa vie, décide d’en finir avec son existence et s’apprête à sauter de la Tour Eiffel lorsqu’un inconnu le convainc de faire marche arrière. Il lui propose un pacte : lui sauver la vie en échange de son engagement à faire tout ce qu’il lui demandera.

Ce roman bien ficelé nous tient en haleine et explore avec finesse les tréfonds de l’âme humaine. Il met en évidence deux personnalités diamétralement opposées : Alan, jeune homme manquant cruellement de confiance en lui et spectateur de sa vie face à Igor, personnage charismatique et haut en couleurs.

Ce « petit traité de psychologie » où s’entremêlent introspection, affirmation de soi et relations sociales, fera le bonheur de ceux et celles qui ont un sens aigu des rapports humains.

Toutefois, une réflexion sous-jacente est à mener quant à la toute-puissance des théories du développement personnel qui abondent dans le paysage littéraire et médiatique ces dernières années. Le culte de la performance tant prônée par cette idéologie ne se fait-il pas parfois au détriment de l’Autre ? S’affirmer, dépasser ses peurs, prendre sa vie en main, améliorer ses compétences pour se sentir mieux professionnellement et personnellement… oui, mais à quel prix ? Qu’en est-il de ces techniques de management qui ne sont rien d’autre que des techniques de manipulation qui visent à obtenir quelque chose de son prochain ?  Reste au lecteur le choix de cueillir les plus belles fleurs du développement personnel…

Parsemés de réflexions philosophiques, les livres de Laurent Gounelle ont cette particularité de laisser le lecteur songeur et comme je l’ai déjà dit, de dessiner un sourire délicat au coin des lèvres une fois la dernière page tournée…

L.M.

L’homme qui voulait être heureux de Laurent Gounelle

Retrouvez notre sélection de livres. L’objectif? Vous donnez l’envie de renouer avec la lecture en choisissant pour vous des livres de qualité qui éveilleront ce « petit quelque chose » en vous.

On apprécie un livre généralement pour deux raisons, la forme et le fond. « L’homme qui voulait être heureux » ne se lira pas pour la plume de l’auteur, sa prose ou son style. C’est un livre qui se veut accessible tant par sa syntaxe que par ses dialogues. Vous devinez donc sans peine que c’est bien sur le fond qu’il vaut la peine d’être lu.

Mais avant de vous en dévoiler les secrets, attardons-nous sur l’auteur…

Laurent Gounelle grandit dans un milieu scientifique et a une éducation assez stricte. Diplômé en sciences économiques, il travaille plusieurs années dans les finances. Il change de poste très souvent en espérant trouver enfin qui il est. Cette quête de lui-même va l’amener à rencontrer un sage lors d’un de ses voyages. Bien qu’il n’en fasse jamais mention explicitement, on devine aisément que c’est un épisode majeur de sa propre vie qu’il nous relate dans ce livre.

En vacances à Bali, il décide, quelques jours avant son départ, de rencontrer un maitre spirituel… juste par curiosité. Ce qu’il découvre changera à jamais sa vision des choses, sa vision du monde et aussi, et surtout, sa vision de lui-même.

Histoire universelle qui parle de vous, de nous… qui nous fait réfléchir sur des questions existentielles.

Riche en enseignements, on en retiendra au moins un seul : 

« Nous sommes ce que nous pensons.

Avec nos pensées, nous bâtissons notre monde. » Bouddha

Le genre de livre qui inscrit un sourire rêveur et délicat au coin des lèvres lorsque vous tournez la dernière page…

L.M.

Les matins de Jénine, pour ne pas oublier

Les matins de Jénine, un livre écrit par la palestinienne Susan Abulhawa et qui nous plonge au cœur du conflit israélo-palestinien. Le roman raconte l’histoire de la jeune Amal et de sa famille sur quatre générations, c’est le coup de cœur de notre rédaction.

C’est un livre vrai, fort, où il n’y a pas de filtre au niveau des émotions, elles sont là, puissantes et nous emportent littéralement avec elles.

Je n’ai pas aimé ce livre, parce qu’il m’a fait perdre espoir en l’humanité, je n’ai pas aimé ce livre parce qu’il a fait naître en moi des émotions que je n’aime pas : la colère, le désespoir, la haine parfois, même si je ne pense pas connaître véritablement ce qu’est ce sentiment. Je n’ai donc pas aimé ce livre parce qu’il a révélé mon impuissance face à toutes les injustices de ce monde et celle des Palestiniens en particulier. Je n’ai pas aimé ce livre parce que même après avoir achevé sa lecture, ma vie n’a pas changé, facteur révélateur encore une fois de mon impuissance. Je n’ai pas aimé ce livre mais je l’ai incarné à travers Amal et son histoire, celle de tant d’autres familles palestiniennes qui ont leur patrie dans leur sang, dans leurs veines… Ils se dressent tous contre cette injustice depuis tant d’années et dans l’indifférence générale, cette injustice qu’Allah s’est interdite à lui-même, c’est dire combien nous devons nous aussi dénoncer cela au minimum. Mais vous l’aurez compris, je l’ai aimé ce livre, mais tellement… car c’est la première fois que je vis profondément, intensément le conflit israélo-palestinien.

Susan Abulhawa est une ancienne réfugiée palestinienne au Koweït. Les camps de réfugiés, elle les a connus et a su nous transmettre, à travers Les matins de Jénine, cet héritage palestinien, l’héritage de la mémoire pour ne pas oublier qu’aujourd’hui encore des générations entières ont vécu et vivent encore dans l’espoir de retourner sur les terres desquelles on les a chassé. Finalement, j’ai retrouvé l’espoir en l’humanité grâce à Youssef, car, Al Hamdoulilah, du plus profond des ténèbres, il peut toujours jaillir une lumière…

Un livre qui doit figurer dans  votre bibliothèque !

H.B.

Pour en savoir plus:

Les matins de Jénine, Susan Abulhawa, aux éditions Pocket, 2009.

Pour le devoir de mémoire

Amie lectrice, ami lecteur, que la paix soit sur vous !

Il y a quelques semaines, j’ai eu l’occasion de lire le roman Les matins de Jénine de Susan Abulhawa qui retrace le déracinement d’une famille palestinienne, sur quatre générations, meurtrie et prise au piège par le conflit israélo-palestinien. Ma « consœur de calame[1] », H.B., a trouvé les mots justes pour relater ce récit historique dans un article poignant que je vous invite à découvrir.

J’ai choisi de m’attarder sur un autre aspect du livre.

« Un arbre n’est la propriété de personne, poursuivit-il. Il peut t’appartenir à titre temporaire, comme tu peux lui appartenir Nous venons de la terre, nous lui donnons notre amour et notre travail et, en retour, elle nous nourrit. Quand nous mourons, nous retournons à la terre. D’une certaine manière, c’est elle qui nous possède. »

Extrait « Les Matins de Jénine »

On dit que les gens qui vivent près de la terre ont un rapport aux relations humaines authentique : sens du partage, de l’hospitalité, de l’accueil… non altéré ou dénaturé par de quelconques us protocolaires dont nous avons le secret dans nos contrées où la surconsommation est reine.

Et c’est eux que nous appelons « pauvres »…! Mais pauvres de quoi ?! Pauvres de ne pas posséder d’objets inutiles ? Pauvres de ne pas être victimes de surabondance ? Pauvres de ne pas s’encombrer des diktats des apparences ?

A l’image de ces personnes vivant près des terres, les personnages du roman de Susan Abulhawa ont compris l’essentiel : le détachement et le sens des valeurs.

Le minimalisme leur a permis de cerner la richesse de ces petits moments de bonheur à saisir au quotidien ;

L’épreuve leur a révélé l’éphémérité de la vie ;

La détresse leur a offert un lien privilégié avec l’Unique ;

Le dénuement leur a enseigné la force d’âme.

L’épreuve, la détresse, le dénuement, … auraient-ils donc pour rôle de nous emmener dans les abysses de notre être pour faire jaillir les richesses enfouies en nous que l’on ne soupçonne guère ?

Voilà ce qu’est parvenue à faire Susan Abulhawa de ce livre intimiste, écrit avec finesse, pudeur et poésie : amener le lecteur à sonder l’intensité profonde de ses émotions, de ses sentiments et explorer les tréfonds du sens des valeurs. Juste grandiose !

Un livre puissant qui décrit à la fois la beauté de ce roman et l’effroi qu’il raconte.

Un livre qui ne laisse pas indifférent et qui nous interpelle au moment de tourner la dernière page… :

  • « Vas-tu me ranger dans ta bibliothèque et faire comme si de rien n’était, en somme comme fait le monde entier depuis 1948 ? »
  • « Non, répondis-je. Ma modeste contribution sera un article dans le blog ‘L’Autre Regard’. »

Pour des Hommes et des Femmes qui inspirent le respect,

Pour redonner la parole à ceux qui ne l’ont plus,

Pour la dignité et les droits humains bafoués,

Pour crier à l’injustice stridente dont nous sommes spectateurs,

Pour un peuple à genoux qui garde la tête haute,

Pour le devoir de mémoire.

L.M.


[1] Calame : roseau taillé en pointe dont on se sert pour l’écriture.  

L’islam est-il compatible avec le féminisme?

EN 2017, le féminisme fait partie des termes les plus recherchés sur le net. Un regain d’intérêt important suite notamment à la couverture médiatique de la Women’s March à Washington le 20 janvier 2017. Au lendemain de l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, les femmes sont descendues dans les rues de la capitale américaine et un peu partout dans le  monde, notamment à Bruxelles, pour défendre leurs droits, entre les manifestations contre le sexisme et l’avalanche d’accusations d’agressions sexuelles.

La femme… définie comme manipulatrice, tentatrice, celle qui use de ses atouts pour parvenir à ses fins. Pauvre Ève pécheresse, rendue fautive d’avoir cédé à la tentation invitant Adam à l’imiter. Maligne, la femme a su faire profil bas, a su rester dans l’ombre à scruter et étudier les moindres faits et gestes de l’homme, puis elle décide de sortir des fourrés d’un seul coup et de plaquer l’homme à terre. Une image qui pourrait paraître désuète pourtant elle résiste à travers les siècles. Toutefois, nombreuses qui ont tenté à chaque fois de redonner ses lettres de noblesse et sa place à la femme. Ève, Simone de Beauvoir, Coco Chanel, Margaret Thatcher, Rabia al Adawiya, Marie Curie, Zaynab Nefzaouia… loin d’être une liste exhaustive, étaient toutes sur la même longueur d’ondes. Des mouvements d’idées psychologiques alors naissent et viennent promouvoir l’égalité homme-femme.

Un peu d’histoire

Si dans la tradition judéo chrétienne, la femme est considérée comme coupable du péché originel, le Coran, lui, attribue la responsabilité au couple, contrairement à ce que dit le récit biblique, la femme ne porte pas la culpabilité originelle en elle. L’islam est venu apporter les moyens et outiller les droits octroyés aux femmes. Mais aujourd’hui, au nom de l’islam, la femme est infériorisée, opprimée, soumise. Le message divin n’a pourtant rien d’ambigu : il conjugue la libération spirituelle et sociale des hommes et des femmes de façon égalitaire.

D’où vient dans ce cas cette confusion ?

La position traditionnelle et la lecture misogyne ont infantilisé la femme : l’interprétation patriarcale, la vision exclusivement masculine des textes priment malheureusement depuis des siècles. Les revendications du féminisme occidental et la lecture misogyne de certains textes mènent à confusion et à ne plus réellement savoir quelle cause plaidée.

Un livre, d’une femme engagée, Souad Mossadi, s’est penché sur toutes ces questions relatives aux femmes. Elle apporte de la lumière à ce sujet si tumultueux. Son message est clair, le combat du féminisme occidental ne s’accorde pas à celui de l’islam, il est différent. Le droit de la femme musulmane a été destitué par l’homme, c’est l’une des revendications des  féministes musulmanes. Un droit, un statut élevé que Le Seigneur a octroyé à celles-ci sans avoir dû mener un quelconque combat. Souad Mossadi, dans son livre : « La femme et ses histoires » retrace le parcours de vie de la femme musulmane des XXème et XXIème siècle ainsi que l’histoire du féminisme islamique en terre d’islam et en occident. Elle revient pour « L’Autre Regard » sur son parcours qui l’a mené à la rédaction de cet ouvrage.

Quelle a été la motivation de rédiger votre livre? Quel est le message que vous souhaitez transmettre à travers celui-ci?

Pendant au moins deux ans je n’ai fait que lire et prendre des notes, j’ai ainsi pu lire des dizaines de livres et remplir plusieurs carnets de notes. Ce n’est qu’alors que j’ai commencé à écrire peu à peu tout en continuant mes recherches et mes lectures, j’ai d’abord écrit le chapitre sur le féminisme qui ne devait représenter qu’une très brève préface avant de rentrer dans le vif du sujet mais les informations étaient tellement nombreuses et le sujet si important que j’ai décidé d’en faire le premier chapitre, étant donné que beaucoup de personnes parlent du féminisme mais n’en connaissent pas la véritable histoire et tout ce que cela implique, j’ai voulu retracer le parcours des différentes vagues féministes en Occident et dans le monde arabo-musulman afin d’éclaircir la question et de constater tous ses acquis aussi bien que ses dérives.

D’après vous, est-il possible d’allier vie familiale et vie professionnelle tout en étant sereine?

Dans ce livre que j’ai voulu divisé en quatre chapitres, après avoir tenté de clarifier les questions féministes, j’aborde dans le deuxième chapitre qui est certes le plus long la vie d’une femme dans ses diverses facettes et ses multiples responsabilités depuis sa plus tendre enfance à sa vie adulte qu’elle soit étudiante, célibataire ou épouse, sœur ou belle- sœur, mère ou grand- mère dans la sphère privée sans oublier son rôle dans la sphère publique dans les domaines professionnel, social et politique. Ainsi, le plus grand défi pour la femme est de parvenir à un équilibre entre toutes ses obligations. C’est pourquoi, je me suis attardée sur la conciliation entre ces dernières afin que la femme puisse parvenir à un réel épanouissement.

A la page 275 du livre, on peut notamment lire : « l’islam préconise toujours la voie du juste milieu. Donc, même si le travail peut occuper une grande place dans nos vies de femmes, il ne faut pas non plus en faire le seul objectif de son existence. Le travail doit demeurer une des sphères de notre vie qui peut nous aider à nous épanouir, mais ce n’est pas la seule. »

Le fruit de votre travail est basé sur des recherches très approfondies sans avoir négligé de prendre en compte le contexte.

Cet ouvrage tente d’apporter des réponses aux questions que se posent la plupart des femmes et se basent sur des données scientifiques, historiques, sociologiques, psychologiques mais toujours en accord avec notre corpus religieux avec la volonté ferme de ne jamais entrer en contradiction avec le Coran, parole de notre Seigneur ni les hadiths prophétiques authentiques. Au contraire, par la grâce d’Allah, notre belle religion confirme à chaque fois les données profanes sur lesquelles nous nous sommes appuyées. Le but essentiel de ce livre est de fournir à nos soeurs des sources d’épanouissement, de leur rappeler que la paix du coeur ne se trouve que dans la foi et la proximité d’Allah, que le vrai bonheur est d’ordre spirituel et qu’au final cela a un impact positif sur nos soucis du quotidien.

A la page 32 du livre : « si le voile est vu en Occident comme un symbole de soumission des femmes, en Orient, la pornographie, la prostitution et l’absence de respect pour les femmes dans les médias occidentaux sont vivement critiqués… »

Est-il réellement possible qu’aujourd’hui la femme musulmane puisse jouir de ses droits? Pouvez-vous nous donner un exemple?

J’achève mon livre sur l’histoire de deux femmes exemplaires et sublimes, qui sont une source d’inspiration pour toute femme à la recherche du bonheur, leur vie auprès de notre cher Prophète est un modèle pour nous. A travers l’histoire de Khadija et ‘Aisha, j’ai voulu illustrer tous les concepts que j’ai abordés tout au long du livre et qui peuvent sembler parfois trop abstraits en montrant leur dévouement, leur courage, leur patience, leur confiance inébranlable et leur amour du Prophète et du Créateur malgré les dures épreuves et les difficultés qu’elles vivaient.

Enfin, à la page 513 : « Lorsque nous étudions sa vie, nous sommes subjugués par sa parfaite maîtrise de la jurisprudence, du hadith, de l’exégèse, de la loi islamique, de la poésie, de la généalogie, de la médecine, et de l’histoire. L’Imam AL-Zuhri dit à son sujet: ”Si on rassemblait la science de Aïcha avec la science de toutes les autres femmes, sans aucun doute Aïcha serait meilleure”

Une évolution impressionnante

Pour conclure, force de constater que l’évolution de la situation des femmes musulmanes depuis plusieurs décennies est réellement impressionnante. Indéniablement, elles ont contribué à l’enrichissement de la théologie musulmane jusqu’à son apogée, certaines ont même atteint un très haut niveau d’érudition à l’échelle internationale. Alors pourquoi ce silence ? Pourquoi la femme doit être reléguée au second plan, pourquoi devoir s’effacer jusqu’à devenir invisible ?

Les lectures sclérosées des textes sacrés et coutumes aberrantes qui les accompagnent, ont fortement contribué à la marginalisation de la femme et plus largement à la décadence du monde arabo-musulman. Nul doute que l’un des plus importants défis aujourd’hui c’est de mettre en lumière et sous les projecteurs ces femmes savantes, militantes, influentes… Et de permettre la renaissance de la pensée de la femme avec un grand « F », et ce en toute liberté.

Rêve utopique pour certains, possible pour d’autres, du moins ne jamais craindre l’utopie. Comme disait Dom Helder Camara : « Quand on rêve seul, ce n’est encore qu’un rêve, quand on rêve à plusieurs, c’est déjà une réalité. »

Hana

Pour en savoir plus:

Souad Mossadi, « La Femme et ses Histoires, à la recherche du bonheur aux sources de la foi », aux Editions Al Hadith

La onzième heure

Nous vivons une période inédite, une période de changement, une période de transition accompagnée d’incertitudes, d’imprévisibilité, de perte de repères. Nous éprouvons de multiples émotions, une fragilité qui a bouleversé nos styles de vie. Au niveau mondial, cette expérience nous a transformés, elle nous a démontré que nous sommes tous logés à la même enseigne face à de tels bouleversements. Forcés de marquer l’arrêt, voilà une occasion propice pour se reconnecter à soi-même. Dans son ouvrage, « La onzième heure », Martin Lings (Abu Bakr Siraj al Din) érudit anglais musulman, nous donne quelques pistes de réflexion concrètes sur la façon d’aborder le monde moderne.

La onzième heure ?

Lorsque l’individu arrive à la fin d’un travail, on le qualifie péjorativement « d’ouvrier de la onzième heure ». Les travailleurs prestaient de six heures du matin à dix-huit heures et, sur ces douze heures de travail, certains se permettaient de terminer une heure plus tôt tandis que d’autres s’autorisaient à ne venir travailler qu’à la dernière heure pour toucher le même salaire. La onzième heure prend ses origines dans une histoire racontée dans l’évangile:

« Voici en effet à quoi le règne des cieux est semblable: un maître de maison qui
était sorti de bon matin embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il se mit d’accord
avec les ouvriers pour un denier par jour et les envoya dans sa vigne. Il sortit
vers la troisième heure, en vit d’autres qui étaient sur la place sans rien faire et
leur dit:  Allez dans la vigne, vous aussi, et je vous donnerai ce qui est juste.  Ils y
allèrent. Il sortit encore vers la sixième, puis vers la neuvième heure et il fit de
même. Vers la onzième heure, il sortit encore, en trouva d’autres qui se tenaient
là et leur dit: Pourquoi êtes-vous restés ici toute la journée sans rien faire? Ils lui répondirent:  C’est que personne ne nous a embauchés. Allez dans la vigne, vous aussi, leur dit-il. Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant: Appelle les ouvriers et paie-leur leur salaire, en allant des derniers aux premiers. Ceux de la onzième heure vinrent et reçurent chacun un denier. Les premiers vinrent ensuite, pensant recevoir davantage, mais ils reçurent, eux aussi, chacun un denier. En le recevant, ils se mirent à maugréer contre le maître de maison et dirent: Ces derniers venus n’ont fait qu’une heure, et tu les traites à l’égal de nous, qui avons supporté le poids du jour et la chaleur! Il répondit à l’un d’eux: Mon ami, je ne te fais pas de tort ; ne t’es-tu pas mis d’accord avec moi pour un denier?  Prends ce qui est à toi et va-t’en.  Je veux donner à celui qui est le dernier autant qu’à toi. Ne m’est-il pas permis de faire de mes biens ce que je veux? Ou bien verrais-tu d’un mauvais œil que je sois bon? C’est ainsi que les derniers seront premiers et les premiers derniers. 
»

Confiance et honnêteté

Après lecture de cette histoire, nous constatons premièrement que ces ouvriers de la onzième heure ne se préoccupent absolument pas de leur salaire. Ils ignorent ce qu’ils vont gagner. Il ne leur est même pas annoncé, contrairement aux ouvriers de la troisième heure, à qui l’on précise seulement un salaire juste. Mais ils se mettent tout de même au travail. Ils sont désintéressés. Ils font entièrement confiance au propriétaire, ils le croient sur parole. Ils auront la bonne surprise de recevoir bien plus qu’espéré,… dix fois plus. Deuxièmement, ces ouvriers reconnaissent humblement que personne n’a voulu d’eux. Ils ne cherchent pas à se mettre faussement en avant, ils ne cherchent pas à cacher leur faiblesse. Devant le propriétaire, ils sont sans fraude. Qui peut juger du poids de l’épuisement des uns? Qui peut juger de l’investissement des autres?

Vers la douzième heure

Selon Martin Lings, notre époque correspond à « la onzième heure », qui précède immédiatement cette « douzième heure ». Concrètement, dans notre époque plus que jamais, tout s’achète, tout se mérite. Dans notre société, la justice veut que chacun reçoive en proportion de ce qu’il a fait, dans une relation donnant-donnant. Ce sont désormais les producteurs et commerçants qui dominent notre monde. Dans cette perspective, la grâce de Dieu peut nous paraître injuste, parce qu’elle ne se fonde pas sur notre propre conception de la justice. Mais la miséricorde divine est bien présente aujourd’hui.

Dans la tradition tibétaine, tous s’accordent à annoncer que la douzième heure marquera la conclusion non pas de « la fin des temps » ni de
« l’Age de fer » ou encore de « l’Age sombre » mais bien de l’un des grands
cycles des quatre Âges de l’histoire de l’humanité. Cet âge sombre (période actuelle) doit être inévitablement succédé par un nouvel « Age d’or » . Dans ce cadre Martin Lings analyse les aspects négatifs du monde moderne puis les aspects positifs qui sont la contrepartie Miséricordieuse.

A retenir

Voici quelques mots d’ordre pour vous prémunir et vivre cette transition en toute confiance :

  • Dédramatiser car ce à quoi l’on résiste persiste,
  • Se responsabiliser car ce à quoi l’on fait face s’efface,
  • Lâcher prise car ce à qui nous affecte nous infecte,
  • S’exprimer car ce à que l’on réprime s’imprime,
  • S’enraciner car ce que l’on fuit nous poursuit
  • Rayonner car ce qui émane de nous revient à tous les coups,[1]
  • Enfin, apprenons à voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide…  

Hana


[1] https://m.facebook.com/276796229032963/photos/les-7-cl%C3%A9s-de-la-lib%C3%A9ration-int%C3%A9rieure1%C3%A8re-cl%C3%A9-sexprimer-ce-que-lon-r%C3%A9prime-simp/1045352548843990/, consultée le lundi 20 décembre