Connaissez-vous l’histoire de Robinson Crusoë? Ce héros d’aventures du 18ème siècle, qui s’échoue sur une île déserte après un naufrage? Il doit alors organiser sa survie et son quotidien. Nous sommes très nombreux, jeunes et moins jeunes à connaître ce roman riche en péripéties mais aussi riche d’une certaine réflexion psychologique et philosophique. Mais qui parmi nous sait que le personnage de Daniel Defoe s’inspire très généreusement d’une oeuvre grandiose, un bijou de la civilisation musulmane, et qui connut un succès retentissant en Europe? Cette oeuvre c’est Hayy Ibn Yaqdhan, le conte philosophique d’Ibn Tufayl.
Le chef d’oeuvre arabe-andalou qui éblouit l’Europe des Lumières
Abu Bakr Muhammad Ibn Tufayl est un médecin, mathématicien, astronome, philosophe, théologien, d’inspiration soufie. Il vit au 12ème siècle en Andalousie et est connu pour avoir été le mentor d’Ibn Roshd*. Il sera le médecin du calife andalou Abou Ya’qoub Yussuf à Cordoue.
Il se dira lui-même influencé par la pensée d’Aristote et de Platon, mais aussi d’Ibn Baja* (qui introduisit la philosophie en Espagne musulmane au 8ème siècle) par Ibn Sina* et Al Ghazali entre autres.
Son héros s’appelle Hayy Ibn Yaqdhân, traduisez « Vivant fils d’Éveillé ». C’est un nourrisson, qui apparaît sur une île vierge et déserte de l’Inde. Sa naissance est mystérieuse. Est-il arrivé dans un coffre poussé par les flots? Est-il apparu par génération spontanée? Le conte laisse planer le doute…
Toujours est-il que le jeune Hayy grandit et se développe, adopté et allaité par une gazelle (ou une chèvre selon les traductions).
Au décès de sa mère la gazelle, l’enfant est confronté pour la première fois à l’idée de la mort, et il entre dans une longue observation au terme de laquelle il conclut à l’existence de l’âme, transcendant l’enveloppe charnelle.
Il doit maintenant se débrouiller seul pour survivre et continue d’évoluer, observant l’univers autour de lui, scrutant le monde animal, végétal et céleste. De réflexion en déductions, de contemplation en intuitions, le personnage va comprendre les lois qui régissent le monde.
Son intelligence est pure, il ne subit aucune influence éducative, aucun conditionnement sociétal. Cet état de virginité du cœur et de l’esprit le met dans une posture d’ouverture à la compréhension de la Vérité.
Sa contemplation de l’univers et son raisonnement vont le mener à la compréhension de vérités physiques. Puis, sa méditation et son intelligence du coeur vont le conduire vers des vérités métaphysiques, dont l’existence de l’Être Suprême.
Une allégorie qui fait cheminer le coeur et l’esprit
La question qui est au centre du livre est la suivante: la raison est-elle suffisante à l’homme pour accéder à la vérité? Peut-il faire l’impasse sur la révélation? Pour les penseurs occidentaux qui ont largement commenté l’oeuvre d’Ibn Tufayl, la réponse semble limpide. L’homme se suffirait de la logique et du raisonnement pour accéder à la vérité. Cette opinion transparaît d’ailleurs dans le titre des traductions francophones de l’oeuvre, à savoir « Le philosophe sans maître » ou encore « Le philosophe autodidacte ».
Rien n’est moins sûr cependant pour tout lecteur qui refuse d’occulter le rôle de la Fitra, cette lumière divine présente dans le coeur de tout homme, à l’état de flamme, vacillante ou flamboyante, mais cependant présente…
Ce livre est riche d’enseignements scientifiques: botanique, biologie, astronomie, de nombreuses références dévoilent l’éclectisme et l’érudition de l’auteur.
A lire, à dévorer, à méditer, pour élever le débat et s’élever soi-même…
*Ibn Roshd = Averroes *Ibn Baja = Avempace *Ibn Sina = Avicenne
Hayat Belhaj