Maroc-Israël: une normalisation contestée par le peuple

Le 10 décembre 2020, Israël et le Maroc rétablissent leurs relations diplomatiques dans le cadre d’un accord trilatéral impliquant les États-Unis. Le royaume chérifien devient ainsi le quatrième pays arabe après les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan, à normaliser ses relations avec Israël. Si au sommet de l’État, cette décision est saluée, elle ne sera, par contre, jamais acceptée par le peuple marocain…

Cet attachement à la cause palestinienne n’est pas nouveau et est partagé par l’ensemble des pays arabes. Pour preuve, les manifestations en soutien au peuple palestinien sont celles qui rassemblent toujours un nombre considérable de personnes, parfois jusqu’à plusieurs millions à travers le monde.

Malgré une forte pression en faveur de la normalisation entre les pays arabes et Israël, des pays résistent, c’est le cas notamment de l’Algérie ou de la Tunisie qui refusent toujours d’établir des relations diplomatiques avec l’État hébreu. D’ailleurs, le drapeau palestinien accompagne très souvent leurs emblèmes nationaux lors de manifestations politiques ou d’évènements sportifs. Et le Maroc ne fait pas exception. Certains ont payé cher les critiques adressées au « makhzen[1]» jugé incapables de défendre les Palestiniens.

L’accord de normalisation entre Rabat et Tel Aviv a donc été perçu faussement comme la fin de la solidarité populaire à la cause palestinienne. Cette normalisation n’a jamais été acceptée par les Marocains dans leur ensemble, qui continuent à marquer leur attachement à défendre leurs « frères » victimes d’injustice. Pour preuve, la dernière Coupe du Monde au Qatar où de nombreux observateurs ont indiqué que la Palestine était la véritable gagnante de la compétition sans qu’aucun joueur palestinien n’ait foulé la pelouse qatarie. Et cela, grâce à la performance du Maroc qui n’a pas hésité à associer le drapeau noir, blanc, vert et son triangle rouge à sa victoire. Toutes ces manifestations d’amour envers la Palestine, ont montré qu’Israël ne sera jamais accepté par les Arabes tant qu’il demeurera une puissance occupante qui bafoue les droits humains les plus élémentaires.

La footballeur marocain Achraf Dari célèbre la qualification pour les demi-finales en brandissant un drapeau palestinien au stade al-Thumama de Doha. © EPA-EFE/Abedin Taherkenareh

Les avantages politiques obtenus par le gouvernement marocain en échange des droits des Palestiniens semblent dérisoires : la reconnaissance américaine de la revendication de Rabat sur le Sahara marocain. Cependant, la géopolitique mondiale semble plus que jamais remise en question : la supériorité des États-Unis et de l’Occident est de plus en plus contestée sur le continent africain. De nouveaux acteurs puissants, comme la Russie et la Chine, gagnent du terrain et fragilisent cet équilibre instauré depuis de (trop) nombreuses décennies

Israël, de son côté, souhaite bénéficier de l’immense zone marchande que représentent les pays arabes et espère en contrepartie en retirer toutes sortes d’avantages économiques mais tout en continuant à asservir les Palestiniens. Il est donc temps pour le Maroc et d’autres pays arabes de reconsidérer leur engagement en faveur de l’État hébreu au risque de payer cher les maigres consolations reçues en échange de cet énorme sacrifice consenti.

À l’occasion du deuxième anniversaire de l’accord de normalisation, des dizaines de milliers de Marocains ont manifesté à travers tout le pays (30 villes différentes) leur opposition à cette décision à travers un slogan : « le peuple veut abattre la normalisation ». Des protestations organisées par le Front marocain de Soutien à la Palestine et contre la Normalisation.

L’année 2022 a été particulièrement sanglante en Palestine. Elle est en passe de battre un nouveau triste record : l’année la plus meurtrière pour les Palestiniens de Cisjordanie depuis 2005…, selon l’envoyé des Nations-Unies pour le Moyen-Orient.

Ce mouvement populaire ainsi que tous ceux qui existent à travers le monde indique que la Palestine restera une lutte nationale au Maroc et dans d’autres pays arabes, et cela, malgré les décisions prises par des gouvernements prêts à sacrifier l’honneur et la justice sur l’autel de pauvres ambitions personnelles…

H.B.

[1] Le makhzen (مخزن) est un terme arabe désignant un entrepôt fortifié utilisé jadis pour le stockage des aliments, et qui a donné le mot magasin en français. Le makhzen désigne de façon spécifique et jusqu’à nos jours l’appareil étatique marocain.

Les Lions de l’Atlas… une histoire de cœur

Bientôt 5 ans que je n’ai pas foulé la terre de mes ancêtres… Non pas que rien ne m’y rattache mais mon gout prononcé pour la découverte de nouveaux horizons m’a fait voyager ces dernières années, vers des contrées inconnues et moins fréquentées.

Les rues bondées que je prenais plaisir à sillonner avec mon amie Najia et les plages surpeuplées où je me suis prélassée ont été le théâtre de mes vacances d’été au Nord du Maroc pendant ma jeunesse.

Aujourd’hui, j’aspire à autre chose : me ressourcer… loin des rues bondées et des plages surpeuplées.

Voilà pourquoi, le besoin d’y retourner ne s’est pas fait sentir depuis plusieurs années… Mais d’ailleurs, ne dit-on pas loin des yeux, loin du cœur ? Et pourtant…

Maroc-Belgique, dimanche 27/11/22

– Maman, moi je suis pour la Belgique et toi, tu es pour qui ?

– On ne choisit pas entre sa mère et son père, voyons

Le match commence… Après la 1ère mi-temps, ma fille me repose la question et ma réponse demeure identique. Cependant, dans mon cœur, aucun doute ne subsiste.

Tout me rattache à la Belgique : naissance, langue, éducation,études, références culturelles, travail… et pourtant, le cœur a ses raisons que la raison ne connait point !

L’engouement autour des performances de l’équipe marocaine a éveillé en moi un patriotisme insoupçonné. A la grande consternation de ma fille qui, en réponse à sa question initiale « tu es pour qui ? », a vu sa mère passer du politiquement correct « On ne choisit pas entre sa mère et son père… » à « Traitresse !» lorsque celle-ci s’indigna du tir au but de Saïss à la 73ème minute !

Maroc-Portugal, samedi 10/12/22

J’étais invitée à passer l’après-midi en bonne compagnie mais j’ai décliné l’invitation à la dernière minute. Match oblige ! Je ne fus pas déçue. Un moment fort en émotions. L’histoire s’écrit : premier pays africain, première nation arabe à concourir pour la demi-finale. Scènes de liesse en Belgique, France, Allemagne, Italie, Espagne, Canada, Palestine, Tunisie, Libye, Mauritanie, Ghana, Qatar… La liste est trop longue.

Au-delà des performances footballistiques que les joueurs ont pu démontrer depuis plusieurs matches, on assiste à une espèce de symbiose, de cohésion, de renforcement des liens qui unissent les Marocains où qu’ils soient dans le monde. Mais pas seulement. L’équipe marocaine a aboli les frontières. Désormais, le drapeau rouge à l’étoile verte réunit les peuples arabes, africains et musulmans à travers le monde. Et même au-delà… D’Elon Musk avec son «🇲🇦🇲🇦 Congrats Morocco !! 🇲🇦🇲🇦» au tweet de Shakira « This time for Africa ! », les réseaux sociaux s’enflamment.

Au-delà du patriotisme, ce n’est pas tant la victoire qui est impressionnante mais leur parcours riche en enseignements. Ils ne se battent pas avec leur corps seulement mais avec leur cœur surtout. Ils y puisent force et  détermination. L’endurance, le mental d’acier, la résistance dont ils font preuve sont prodigieux.

En quelques matches, les Lions de l’Atlas ont redéfini « la croyance en ses rêves ». Se dépasser, se surpasser, croire en l’inatteignable, ne pas se laisser impressionner par « les plus grands » … preuve une fois de plus, que l’être humain est le seul à se mettre des barrières. Une telle conviction ne peut être qu’empreinte de foi… Et le tout, surtout, surtout… avec humilité et simplicité. Ils ont déjà tout gagné.

Après chaque victoire des Lions, on assiste à un cérémonial qui peut paraitre étrange aux yeux des non-initiés que sont les Occidentaux : le baiser du front maternel. Nous avons tous vu Regragui, Ziyech, Hakimi ou encore Boufal courir vers les tribunes pour embrasser leur mère et plus spécifiquement leur tête.

La bénédiction des parents, personnifiée par le baiser du front maternel (et paternel), est un symbole puissant, souverain dans la culture arabo-musulmane, pour le rang élevé attribué aux parents par Dieu.

Les Marocains, croyants, ont besoin de Dieu pour y arriver. La prosternation de remerciement à Dieu sur le terrain, la puissance des invocations du Maghreb au Machrek, le baiser du front maternel… Ne sont-ce pas là des signes pour les croyants ?

Le souffle est suspendu. Ce soir se joue la demi-finale.

Look who we are, we are the dreamers
We make it happen ’cause we believe it
Look who we are, we are the dreamers
We make it happen ’cause we can see it

Regarde qui nous sommes, nous sommes les rêveurs

Nous y parvenons parce que nous y croyons

Regarde qui nous sommes, nous sommes les rêveurs

Nous faisons en sorte que cela se produise parce que nous pouvons le voir

La chanson officielle de la Fifa Coupe du Monde 2022.

Les paroles semblent taillées sur mesure pour les Lions de l’Atlas… Encore un signe ? Cette chanson a battu les records de vue de toutes les chansons de la Coupe du Monde. Elle a été écrite et produite par RedOne : producteur, auteur et compositeur… marocain! Encore un signe ?

Dans tous les cas, la victoire est déjà marocaine…

L.M.

Une immigration marocaine

Le patrimoine mondial de l’UNESCO a été octroyé à quatre sites miniers wallons dont celui du Grand-Hornu (Mons), celui du Bois-du-Luc (La Louvière), du bois du Cazier (Charleroi) et de Blegny-Mine (Liège) il y a exactement dix ans, ce vendredi 1er juillet 2022.[1] Cette reconnaissance de l’UNESCO nous replonge dans l’histoire de la Belgique et plus particulièrement celle de l’après-guerre. Mais elle nous replonge également, entre autres, dans l’histoire de l’immigration marocaine en Belgique. Les descendants de cette immigration, vieille de plus de 50 ans, les Marocains de Belgique, présentent aujourd’hui d’un point de vue démographique la minorité ethno-culturelle d’origine étrangère la plus importante du pays[2]. Cette histoire, bien trop peu connue mais pourtant fondamentale mériterait sa place dans les livres scolaires. Mais afin de la comprendre et d’en connaître les jalons, replongeons dans l’après-guerre.

Après la deuxième guerre mondiale, la Belgique est dévastée et doit être reconstruite. Elle se lance alors dans une nouvelle bataille : la fameuse « bataille du charbon ». La Belgique est riche en charbon, « l’or noir ». Après la Seconde Guerre mondiale, l’industrie minière belge est à son apogée mais voit sa population refuser de travailler dans les mines de charbon. Le travail y est trop pénible et surtout très dangereux.

Le patronat se retrouve face à une pénurie de main d’œuvre. Après des tentatives mal accueillies d’envoyer dans les mines des prisonniers de guerre allemands, puis des inciviques[1], la Belgique se tourne alors vers des pays exportateurs de main d’œuvre étrangère poussée par les milieux patronaux. Le gouvernement signe alors des accords avec des pays étrangers dont l’Italie. Ces deux gouvernements signent un protocole le 20 juin 1946 : pour tout travailleur italien qui descendra dans une mine en Belgique, 200 kg de charbon par jour et par tête seront livrés à l’Italie.[2] Cet accord est surnommé « des hommes contre du charbon ».[3]

Mais la catastrophe de Marcinelle le 8 août 1956 et la mort de 262 victimes dont 136 Italiens dans un incendie remettent en cause les accords belgo-italiens. L’Italie décide alors de mettre fin à toute immigration dans les mines européennes.

La convention belgo-marocaine entre en vigueur lors de sa ratification le 17 février 1964

Le Maroc, pays exportateur de main d’œuvre

La Belgique se tourne vers d’autres pays exportateurs de main-d’œuvre hors Europe dont le Maroc. La situation du Maroc est particulière. Une stagnation économique, sociale et politique laisse le pays dans un état de sous-développement, se traduisant entre autres par une production agricole insuffisante et une population croissante générant inactivité et sous-emploi. Cet accord avec la Belgique se veut être un soulagement de la situation sociale du Maroc et un moyen d’expansion économique de la Belgique. Le Maroc pratique alors une politique d’immigration basée sur un concept marchand. L’objectif est alors d’exporter un maximum de travailleurs afin que ceux-ci rapportent un maximum de devises.

Mais il faudra attendre 1962 pour envisager une convention officielle entre les deux pays. Des fonctionnaires seront alors désignés par l’ambassade belge à Rabat pour recruter les candidats sur place au Maroc. Des centres régionaux subventionnés sont mis en place et dont le rôle sera d’octroyer des permis de travail aux travailleurs marocains. Dans un premier temps, une correspondance s’établira dans laquelle on soulignera trois termes : pénurie, urgence et recrutement. Le patronat charbonnier a besoin d’un grand nombre de travailleurs. Cet accord s’axe donc plus sur l’aspect économique en oubliant l’aspect social et culturel de ces nouvelles recrues fraîchement débarquées. Dans un second temps, les autorités belges soumettent un projet de convention et le gouvernement marocain ne cache pas son désir de faciliter l’émigration.

La convention belgo-marocaine entre en vigueur lors de sa ratification le 17 février 1964 mais ne sera publiée dans Le Moniteur belge que bien plus tard, en 1977. Cette convention est valable pour une période d’un an avec la possibilité d’être reconduite chaque année. On voit se dessiner les prémices d’une immigration dont le cadre légal était encore en construction. Durant trois années, de 1962 à 1964, la situation de la Belgique est telle que les autorités belges négligent le principe d’autorisation et régularisent même des Marocains arrivés comme « touristes ».

Mais que deviennent ces candidats travailleurs ? Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Qu’adviendra-t-il d’eux perdus dans l’obscurité de ces mines de charbon ? La suite au prochain épisode…

O.D.


[1]    http://connaitrelawallonie.wallonie.be/fr/histoire/timeline/20-juin-1946-des-hommes-contre-du-charbon#.YsNUeS3pNxg

[2]    http://connaitrelawallonie.wallonie.be/fr/histoire/timeline/20-juin-1946-des-hommes-contre-du-charbon#.YsNUeS3pNxg

[3]    http://connaitrelawallonie.wallonie.be/fr/histoire/timeline/20-juin-1946-des-hommes-contre-du-charbon#.YsNUeS3pNxg


[1]    https://www.rtc.be/video/info/patrimoine/blegny-mine-10-ans-d-inscription-au-patrimoine-mondial-de-l-unesco-_1513103_325.html

[2]    https://fr.wikipedia.org/wiki/Marocains_en_Belgique

D’Ifantras à Bruxelles, le voyage d’une vie

De la hauteur de ce mont d’Ifantras,

La lune est très blanche, très ronde, très pleine, on pourrait presque la toucher.

Du haut du mont de toutes les désillusions.

Du haut du mont de toutes les consécrations.

Je serai là debout, coulant dans vos veines.

Certains d’entre les tiens décident après une longue période de famine de se diriger vers Tanger la Belle, la mariée du Chamal, la nomme-t-on, dans le but ultime de construire un meilleur avenir.

D’autres comme toi Mohammed Mrabet, feront partie de la première génération de l’exil, de l’émigration, de la séparation.

Tu fais partie de ces premiers marocains à tenter, juste pour un temps, le meilleur en Europe.

Par l’intermédiaire de conventions, la Belgique vous offre un passeport et vous invite à venir combler le manque de main d’œuvre dans les différents secteurs.

Loin de douter qu’à ton arrivée, tu seras considéré comme une simple force de travail.

Tu tournes les talons laissant derrière toi une épouse et tes dix enfants, tu les quittes, tu les aimes, ton cœur se serre, te fait mal, mais tu ne pleures pas parce qu’un homme ça ne pleure pas.

En 1956 débute la première vague d’immigration des Marocains vers la Belgique

Tu te diriges vers l’inconnu, un pays étranger, une langue étrangère, tu vas y travailler dur, ne connaissant qu’un jour de repos et ne connaissant pas les certificats médicaux, afin de nourrir ceux que tu as laissés derrière toi…

Tu laisses ton épouse seule au milieu de ses beaux-frères à titre de tuteur.

Elle se retrouve seule dans un monde rude, cruel, de la maltraitance déguisée sous couvert d’éducation, mais dans une terre qui va malgré tout lui inculquer de profondes valeurs.

Tamaanant s’est mariée avec toi alors qu’elle n’était âgée que de douze ans, toi de seize.

À cet âge-là, elle a été privée d’accéder à son être le plus profond, à cette petite fille qu’elle était.

Un an après votre union elle se retrouve orpheline.

Toi, Mohamed, son époux tu incarneras désormais ses parents perdus.

Désormais, il fallait repartir de zéro, mais c’est toujours la même rengaine, personne ne repart jamais de zéro, pas même les Arabes qui l’on pourtant inventé.

Après des années de séparation, Roméo vient récupérer sa dulcinée, tu as reçu l’autorisation de faire un regroupement familial, les changements sont si soudains.

Comme ces grandes vagues que vous alliez traverser, tu es là, Tamaanant, forte protégeant chacun de tes dix enfants, tu es sur pilote automatique, en mode char d’assaut, vos regards se croisent, ils sont chargés de non-dits.

Des sentiments mitigés, l’inquiétude, de la peur mêlée à de la joie.

Un long voyage vous attend, il est planifié, étudié dans les moindres détails, Cordoba, Bilbao, Madrid…

Mais un voyage tant attendu.

De train en train, de gare en gare, des correspondances à ne surtout pas manquer.

Votre avant-dernier arrêt était celui d’Austerlitz à Paris.

Enfin vous arrivez sur cette terre fraiche et si verte.

Le paysage est si différent, il fait froid, vous avez du mal à vous y faire.

Tu te rends compte, Tamaanant, que tu es à un monde de tes espoirs, mais tu gardes la tête haute, tu te réconfortes, il ne s’agit que d’un laps de temps.

Les maisons ont un toit, elles sont alignées et collées les unes aux autres.

Votre habitation est étroite, vous vous retrouvez dans des petites pièces… quel contraste par rapport aux étendues auxquelles tu étais habituée.

Peu de lumière, ce soleil qui avait l’habitude de vous chauffer, de vous bruler la peau, là soudainement, il se montre timide, il se cache derrière ce haut building d’en face.

Tu te retiens pour ne pas pleurer, parce qu’une maman ça ne pleure pas.

Tu as choisi de vivre une vie monotone, d’être cette brave épouse obéissante au foyer, perpétuant la tradition de préparer son pain de ses propres mains.

Chaque dimanche, tu étais sommée aves tes filles de déplumer une dizaine de poulets que ton époux avait ramenée de la ferme.

De préparer ton beurre à partir du lait fraichement sorti des mamelles de la vache.

Les années ont passé, tu as traversé des moments difficiles mais tu es restée là debout à prendre soins des tiens en gardant toujours et encore à l’esprit un retour au pays en repoussant la date au moment de la retraite de ton époux.

Le Maroc, le pays d’origine et le pays du retour triomphant pour celui qui y a vécu, ou survécu, ce pays ne vous lâchera jamais, il sera là en vous, impossible de l’oublier.

Le Maroc émigre avec vous, il vous suit, il vous guide, il vous colle à la peau, mais cela n’était que chimère et petit à petit le fantasme du retour s’évapore, se heurte à la dure réalité que le hiatus des deux générations est consommé.

Tu saisis que tes racines sont et le seront toujours au pays et que celle de tes enfants sont dans ce pays qui n’était que transitoire, en Belgique.

Mohammed, c’est clair à la retraite tu retournes dans cette patrie si chère à ton cœur.

Pendant ce temps, toi et tes amis émigrés recherchez des repères, une manière de préserver votre identité, la religion est la seule chose que vous avez pu emporter avec vous.

Vous êtes musulmans avant d’être marocains, avant d’être immigrés, l’Islam est votre refuge c’est lui qui donne le calme, qui sécurise, celui qui apporte la paix.

Pour cela, toi et un groupe d’amis vous vous donnez comme mission de construire votre refuge qui s’appellera « Masjid Salam ».

Vous prenez soin de choisir un bâtiment à proximité de la gare du midi.

Vous investissez votre salaire, vous essayez de récolter des fonds tous les vendredis traversant les rangées des prieurs qui jettent un par un de la monnaie dans les plis de votre abaya.

Vos fils se marient, vous connaissez les débuts d’une famille dispersée, toi et ton époux, vous vous consolez en vous disant que c’est la vie.

Vous faites des enfants, vous leurs offrez tout ce que vous pouvez, puis un jour ils s’en vont… C’est à peine s’ils se souviennent de vous.

Si vous étiez au village, ils seraient là tous présents autour de vous, sous vos yeux, mais là vous êtes dans un pays impitoyable, un pays qui séparent en prônant l’individualisme.

Vous vous réconfortez avec ce célèbre adage « le fruit ne tombe jamais loin de l’arbre ».

Tamaanant, tes joues si douces tu veillais à les embaumer de cette crème blanche contenue dans un gros pot bleu, ta peau était aussi soyeuse que celle d’un bébé.

Tu enduisais tes long cheveux noir d’huile, tu les séparais d’une raie délicatement puis tu les tressais.

Tes petites rides étaient le livre de ta vie que tu n’as jamais pu nous raconter.

L’histoire de ta vie qui s’est dessinée juste au coin de tes petits yeux bruns.

Ce pli sur ton front représentait les traces de tes nombreuses inquiétudes, d’attentes de cet imminent retour, loin de t’imaginer que ton Créateur te rappellera à lui pour ne plus jamais revenir.

Tu t’en es allée jeune, belle et pleine de valeurs.

Tu es resté, Mohammed, le bel homme aux yeux bleus aussi beau que dans ta jeunesse, ta barbe si blanche qu’on croirait du coton fraichement récolté.

La retraite est passée, elle a laissé un goût amer, comme une maladie incurable qui n’a laissé que de l’ennui, pour te rassurer, tu fais appel à ta foi et à ton amour profond pour l’Islam.

Tu finis par te résigner, tu avais pourtant tout préparé, tu as construit là-bas au pays, une maison aussi grande que ton cœur, toi Mohammed Mrabet qui pensait y vieillir entouré des tiens, cela n’était qu’illusion.

Une illusion qui t’a fait perdre tout espoir du retour au pays….

Écrire afin que cela résonne dans les esprits comme un hommage, à une mémoire où les moindres mots écrits pèsent.

Je suis la petite fille porteuse d’histoires, de mémoires, de secrets.

J’ai hérité ce bagage dès ma vie utérine.

Vos ressentis, vos lourdes expériences, votre courage et votre Amour demeurent à jamais en moi.

A votre image, je saisis d’où me viens cette force de lutter contre vents et marées.

Merci

Hana

Touria Chaoui, première femme pilote du monde arabe

Longtemps oubliée, aujourd’hui Touria Chaoui est réhabilitée dans les livres d’histoire marocains mais pas uniquement. Cette pionnière au caractère fort et à l’intelligence rare a su marquer les esprits à une époque où les femmes qu’elles soient européennes ou maghrébines n’avaient pas encore le droit de vote.  Portrait

Touria Chaoui nait à Fès en 1936 au sein d’une famille bourgeoise, laquelle s’installe à Casablanca en 1948. Son père, Abdelwahid est un intellectuel. Journaliste d’expression française, acteur, metteur en scène, c’est aussi un nationaliste convaincu. Car le Maroc est alors en plein sous le régime du protectorat français. Dans l’entourage de la jeune Touria gravitent des personnalités telles que Allal El Fassi ou Ahmed Balafrej, qui œuvrent pour en finir avec la présence française. A ce titre, la famille Chaoui a déjà essuyé un attentat à la bombe visant sa villa. Imprégnée de ce qu’elle peut voir et entendre dans sa sphère, Touria révèle une personnalité forte et déterminée, ainsi qu’un esprit vif et curieux.

Soucieux de stimuler son esprit, son père la pousse à réaliser des choses qui, dans la société marocaine d’alors, sont autant de signes d’une éducation d’avant-garde. Ainsi de ce concours littéraire auquel il l’encourage à participer ou de ce film, « La 7ème porte », où elle apparaîtra dans un petit rôle à ses côtés.

Une passion précoce et une détermination étonnante

Lorsqu’à 14 ans elle déclare vouloir passer son brevet de pilotage, son père la soutient. Le fait même que la seule école d’aviation ( l’Ecole des Ailes chérifiennes de Tit Mellil) soit réservée à l’élite française et masculine, ne les fait pas douter.

Accueillis fraîchement, le père et la fille finiront par arracher une inscription.

Sa formation est semée d’embûches. Ainsi de cet examen final consistant en un vol solo, réalisé un jour d’orage violent, que la direction n’a pas souhaité déplacer.

En 1951, forte de sa persévérance, Touria décroche à l’âge de 16 ans son brevet de pilote, et devient la première femme pilote du monde arabe. Le Maroc entier découvre alors son visage, et le Sultan Mohamed ben Youssef la reçoit au palais royal pour la féliciter. La presse internationale s’en fait l’écho. Des associations de femmes la sollicitent pour venir parler en faveur de l’éducation des filles. Touria s’engage dans des activités féministes et militantes.

La famille apprend être sur la liste noire des autorités françaises et se réfugie un temps en Espagne. Leur retour au Maroc coïncide avec celui du Sultan, rentré d’exil, fin 1955. En ce moment de joie populaire, Touria effectue un survol du palais royal en signe de bienvenue, balançant des tracts en faveur de l’indépendance du Maroc.

De la renommée à l’oubli

Le Maroc sera indépendant quelques mois plus tard le 2 mars 1956.

Quant à elle, elle ne le verra pas, assassinée dans sa voiture à bout portant devant son petit frère le 1er mars, c’est-à-dire la veille de l’indépendance. Elle a 20 ans.

Le crime ne sera jamais élucidé officiellement. Crime passionnel ? Crime politique, perpétré à cause de ce qu’elle représentait en matière d’émancipation des femmes ? La vérité, réclamée par les milliers de Marocains sous le choc, accompagnant le cortège funèbre, ne viendra pas. L’histoire l’a oubliée pendant des décennies. Les manuels scolaires marocains n’en ont guère parlé. Ces dernières années, des auteurs et des chercheurs ont commencé à réhabiliter sa mémoire. Son petit frère Salah Eddine Chaoui a écrit un livre : « Ma sœur Touria, première aviatrice du monde arabe. »

Si à Clermont Ferrand une rue porte son nom depuis 2014, il faudra attendre encore un peu pour voir Salé, Casablanca, Berkane et El Jadida lui rendre hommage.

Ainsi, chacun peut désormais au détour d’une rue, s’interroger sur cette jeune femme pionnière, en avance sur son temps, qui réussit contre tous les pronostics, à saluer les étoiles.

Hayat Belhaj