De la hauteur de ce mont d’Ifantras,
La lune est très blanche, très ronde, très pleine, on pourrait presque la toucher.
Du haut du mont de toutes les désillusions.
Du haut du mont de toutes les consécrations.
Je serai là debout, coulant dans vos veines.
Certains d’entre les tiens décident après une longue période de famine de se diriger vers Tanger la Belle, la mariée du Chamal, la nomme-t-on, dans le but ultime de construire un meilleur avenir.
D’autres comme toi Mohammed Mrabet, feront partie de la première génération de l’exil, de l’émigration, de la séparation.
Tu fais partie de ces premiers marocains à tenter, juste pour un temps, le meilleur en Europe.
Par l’intermédiaire de conventions, la Belgique vous offre un passeport et vous invite à venir combler le manque de main d’œuvre dans les différents secteurs.
Loin de douter qu’à ton arrivée, tu seras considéré comme une simple force de travail.
Tu tournes les talons laissant derrière toi une épouse et tes dix enfants, tu les quittes, tu les aimes, ton cœur se serre, te fait mal, mais tu ne pleures pas parce qu’un homme ça ne pleure pas.

Tu te diriges vers l’inconnu, un pays étranger, une langue étrangère, tu vas y travailler dur, ne connaissant qu’un jour de repos et ne connaissant pas les certificats médicaux, afin de nourrir ceux que tu as laissés derrière toi…
Tu laisses ton épouse seule au milieu de ses beaux-frères à titre de tuteur.
Elle se retrouve seule dans un monde rude, cruel, de la maltraitance déguisée sous couvert d’éducation, mais dans une terre qui va malgré tout lui inculquer de profondes valeurs.
Tamaanant s’est mariée avec toi alors qu’elle n’était âgée que de douze ans, toi de seize.
À cet âge-là, elle a été privée d’accéder à son être le plus profond, à cette petite fille qu’elle était.
Un an après votre union elle se retrouve orpheline.
Toi, Mohamed, son époux tu incarneras désormais ses parents perdus.
Désormais, il fallait repartir de zéro, mais c’est toujours la même rengaine, personne ne repart jamais de zéro, pas même les Arabes qui l’on pourtant inventé.
Après des années de séparation, Roméo vient récupérer sa dulcinée, tu as reçu l’autorisation de faire un regroupement familial, les changements sont si soudains.
Comme ces grandes vagues que vous alliez traverser, tu es là, Tamaanant, forte protégeant chacun de tes dix enfants, tu es sur pilote automatique, en mode char d’assaut, vos regards se croisent, ils sont chargés de non-dits.
Des sentiments mitigés, l’inquiétude, de la peur mêlée à de la joie.
Un long voyage vous attend, il est planifié, étudié dans les moindres détails, Cordoba, Bilbao, Madrid…
Mais un voyage tant attendu.
De train en train, de gare en gare, des correspondances à ne surtout pas manquer.
Votre avant-dernier arrêt était celui d’Austerlitz à Paris.
Enfin vous arrivez sur cette terre fraiche et si verte.
Le paysage est si différent, il fait froid, vous avez du mal à vous y faire.
Tu te rends compte, Tamaanant, que tu es à un monde de tes espoirs, mais tu gardes la tête haute, tu te réconfortes, il ne s’agit que d’un laps de temps.
Les maisons ont un toit, elles sont alignées et collées les unes aux autres.
Votre habitation est étroite, vous vous retrouvez dans des petites pièces… quel contraste par rapport aux étendues auxquelles tu étais habituée.
Peu de lumière, ce soleil qui avait l’habitude de vous chauffer, de vous bruler la peau, là soudainement, il se montre timide, il se cache derrière ce haut building d’en face.
Tu te retiens pour ne pas pleurer, parce qu’une maman ça ne pleure pas.
Tu as choisi de vivre une vie monotone, d’être cette brave épouse obéissante au foyer, perpétuant la tradition de préparer son pain de ses propres mains.
Chaque dimanche, tu étais sommée aves tes filles de déplumer une dizaine de poulets que ton époux avait ramenée de la ferme.
De préparer ton beurre à partir du lait fraichement sorti des mamelles de la vache.
Les années ont passé, tu as traversé des moments difficiles mais tu es restée là debout à prendre soins des tiens en gardant toujours et encore à l’esprit un retour au pays en repoussant la date au moment de la retraite de ton époux.
Le Maroc, le pays d’origine et le pays du retour triomphant pour celui qui y a vécu, ou survécu, ce pays ne vous lâchera jamais, il sera là en vous, impossible de l’oublier.
Le Maroc émigre avec vous, il vous suit, il vous guide, il vous colle à la peau, mais cela n’était que chimère et petit à petit le fantasme du retour s’évapore, se heurte à la dure réalité que le hiatus des deux générations est consommé.
Tu saisis que tes racines sont et le seront toujours au pays et que celle de tes enfants sont dans ce pays qui n’était que transitoire, en Belgique.
Mohammed, c’est clair à la retraite tu retournes dans cette patrie si chère à ton cœur.
Pendant ce temps, toi et tes amis émigrés recherchez des repères, une manière de préserver votre identité, la religion est la seule chose que vous avez pu emporter avec vous.
Vous êtes musulmans avant d’être marocains, avant d’être immigrés, l’Islam est votre refuge c’est lui qui donne le calme, qui sécurise, celui qui apporte la paix.
Pour cela, toi et un groupe d’amis vous vous donnez comme mission de construire votre refuge qui s’appellera « Masjid Salam ».
Vous prenez soin de choisir un bâtiment à proximité de la gare du midi.
Vous investissez votre salaire, vous essayez de récolter des fonds tous les vendredis traversant les rangées des prieurs qui jettent un par un de la monnaie dans les plis de votre abaya.
Vos fils se marient, vous connaissez les débuts d’une famille dispersée, toi et ton époux, vous vous consolez en vous disant que c’est la vie.
Vous faites des enfants, vous leurs offrez tout ce que vous pouvez, puis un jour ils s’en vont… C’est à peine s’ils se souviennent de vous.
Si vous étiez au village, ils seraient là tous présents autour de vous, sous vos yeux, mais là vous êtes dans un pays impitoyable, un pays qui séparent en prônant l’individualisme.
Vous vous réconfortez avec ce célèbre adage « le fruit ne tombe jamais loin de l’arbre ».
Tamaanant, tes joues si douces tu veillais à les embaumer de cette crème blanche contenue dans un gros pot bleu, ta peau était aussi soyeuse que celle d’un bébé.
Tu enduisais tes long cheveux noir d’huile, tu les séparais d’une raie délicatement puis tu les tressais.
Tes petites rides étaient le livre de ta vie que tu n’as jamais pu nous raconter.
L’histoire de ta vie qui s’est dessinée juste au coin de tes petits yeux bruns.
Ce pli sur ton front représentait les traces de tes nombreuses inquiétudes, d’attentes de cet imminent retour, loin de t’imaginer que ton Créateur te rappellera à lui pour ne plus jamais revenir.
Tu t’en es allée jeune, belle et pleine de valeurs.
Tu es resté, Mohammed, le bel homme aux yeux bleus aussi beau que dans ta jeunesse, ta barbe si blanche qu’on croirait du coton fraichement récolté.
La retraite est passée, elle a laissé un goût amer, comme une maladie incurable qui n’a laissé que de l’ennui, pour te rassurer, tu fais appel à ta foi et à ton amour profond pour l’Islam.
Tu finis par te résigner, tu avais pourtant tout préparé, tu as construit là-bas au pays, une maison aussi grande que ton cœur, toi Mohammed Mrabet qui pensait y vieillir entouré des tiens, cela n’était qu’illusion.
Une illusion qui t’a fait perdre tout espoir du retour au pays….
Écrire afin que cela résonne dans les esprits comme un hommage, à une mémoire où les moindres mots écrits pèsent.
Je suis la petite fille porteuse d’histoires, de mémoires, de secrets.
J’ai hérité ce bagage dès ma vie utérine.
Vos ressentis, vos lourdes expériences, votre courage et votre Amour demeurent à jamais en moi.
A votre image, je saisis d’où me viens cette force de lutter contre vents et marées.
Merci
Hana
Bravo Hana
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Bonjour 👋🏻
Très bien écrit, je m’y suis entièrement sentie directement embarquée dans cette histoire qui n’ Pas la mienne mais qui nous ressemble
Bonne continuation dans vos écris
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Juste magnifique…
Bravoooo ma belle hana.
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