Majd Mashharawi, le savoir comme arme

Lorsque vous naissez et grandissez sur une terre occupée, vivez sous blocus, privés de certains droits élémentaires, vos espoirs et vos aspirations sont un peu plus intenses, un peu plus incarnés. Quand la moindre prétention à une vie meilleure prend la forme d’une lutte acharnée, soit vous vous épuisez, soit vous persistez. Majd Mashharawi quant à elle, est de celles qui persistent. « Parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense » disait Charles Baudelaire. Portrait d’une jeune Palestinienne qui se bat pour améliorer la vie de ses concitoyens.

Majd Mashharawi obtient son bac en 2010, elle sait alors qu’elle fera un métier qui lui permettra d’aider son peuple. Cette fille de Gaza, brillante étudiante, se voit offrir une bourse  par une université de Berlin. Faute d’obtenir les autorisations nécessaires pour pouvoir quitter la prison à ciel ouvert qu’est son enclave, elle s’inscrit à l’université islamique de Gaza, option génie civil.

En 2016, son diplôme en poche, elle est déterminée à prendre à bras le corps l’un des problèmes majeurs de Gaza, la crise du logement. Les guerres successives ont laissé des milliers de maisons détruites, tout ou en partie. Les bombardements de 2014 auraient détruit environ 18.000 maisons, laissant 100.000 personnes à la rue.

A Gaza, depuis le blocus de 2007, les manques sont importants, en particulier les matériaux de construction comme le ciment, le sable, le gravier, empêchant toute reconstruction.

Mais comment fabriquer des briques sans matières premières ? De quels matériaux disponibles sur place peut-on se servir pour  reconstruire ? Ces questions, Majd aidée de sa collègue Rawan Abdullatif, se les pose pendant des mois.

Des idées et de la niaque

Majd trouve d’abord un atelier qui lui permet de mener des expériences, et après pas moins de 150 essais plus ou moins fructueux, Majd Mashharawi trouve le mélange gagnant. Sa brique alternative sera fabriquée non pas à partir de ciment et de gravier, mais de cendres et de…gravats !

Aidée d’une poignée de jeunes qui croient en son projet, elle se rend sur les ruines et les décombres de Gaza, récolte puis valorise ces déchets qui n’étaient jusque là que des polluants.

Et ça marche ! La brique est légère car alvéolée, économique, résistante, et écologique. Son nom est tout trouvé, elle s’appellera Green Cake.

La brique est légère car alvéolée, économique, résistante, et écologique. Son nom est tout trouvé, elle s’appellera Green Cake.

Récompensée

Après l’avoir présentée à ses compatriotes sous la forme d’un mur témoin, Majd voit les demandes affluer. A ce jour des milliers de logements ont pu être reconstruits grâce au Green Cake, qui remportera plusieurs prix et concours, dont le Japan-Gaza Innovation Challenge.

La première fois de sa vie où elle est autorisée à quitter Gaza, elle s’envole d’ailleurs pour le Japon, où elle est invitée par des ingénieurs japonais à venir perfectionner sa brique.

Elle sera profondément marquée par ce voyage, et subjuguée par un détail qui n’a rien d’anecdotique là d’où elle vient : l’éclairage public.

Un nouveau défi

Il n’en faut pas plus pour lancer cette infatigable petit bout de femme dans un second défi. Celui d’offrir une solution viable à la pénurie chronique d’électricité dans la bande de Gaza. La principale centrale électrique ayant été bombardée, les habitants ne disposent en moyenne que de quatre heures de courant par jour, les hôpitaux dix.  

A Gaza l’on fait beaucoup de choses à la lueur d’une bougie. Les enfants y étudient le soir dans la pénombre. Une personne devant suivre un traitement qui nécessite un appareil électrique, devra donc se rendre tous les jours à l’hôpital, car les heures où le courant est disponible sont aléatoires. Majd est révoltée par toute cette misère, ces souffrances.

« En Palestine », dit-elle, « nous avons 300 jours de soleil par an. L’énergie solaire est simple, abordable, disponible pour tous »

« Ils disaient que c’était impossible, mais dans mon dictionnaire il n’y a pas ce mot »

Majd Mashharawi

Après s’être envolée pour les États-Unis afin de se former à la gestion d’entreprise, cette battante crée SunBox. Un kit solaire capable de fonctionner hors réseau.  Les composants sont importés de Chine et du Canada et sont adaptés pour répondre aux besoins locaux. Il est composé d’un panneau solaire, de capteurs et de batteries. On l’installe sur le toit. Il produit chaque jour de quoi alimenter quatre lampes, une télévision, une connexion internet, un petit réfrigérateur, un lave linge.

Un kit solaire coûte 350 dollars. Trop cher pour beaucoup de familles. Alors elle lance une campagne de financement participatif, fait appel à des investisseurs, et parvient à lever pas moins de 380 000 dollars de fonds. Grâce à ces fonds, sa start-up propose aux familles d’étaler le coût du kit solaire, ou leur offre une subvention  pouvant aller jusqu’à 100 % du prix selon leurs revenus. Deux familles se partagent souvent une installation, pour en alléger le coût. 65 000 autres ont pu bénéficier du kit solaire.

SunBox emploie à présent 35 personnes. Rien n’a découragé cette battante qui a toujours le sourire. Ni les processus compliqués pour obtenir les autorisations d’importer les composants depuis l’étranger. Ni les pourparlers avec l’armée, les responsables palestiniens et israéliens, ni les préjugés et la misogynie parfois…

Avec ses collaborateurs , elle équipe de nombreux camps de réfugiés. L’usine de dessalement de l’eau de Gaza fait appel à elle, afin d’augmenter sa production et offrir aux habitants une eau propre et fraîche.

Continuer à œuvrer pour sa terre

Majd poursuit ses projets et rêve de nouveaux challenges.  Elle souhaiterait équiper d’autres camps de réfugiés, au Liban et en Jordanie. Elle participe également à un projet pilote pour fournir l’énergie solaire à des mosquées de Djeddah et de Ryadh. En 2018, elle sera élue « entrepreneuse la plus créative ».

Majd est aussi de ces personnes qui ont une vision à long terme. Ainsi, parlant de son envie d’étendre SunBox à la Cisjordanie elle dit : « En Cisjordanie ils ont l’électricité, mais ils dépendent beaucoup d’Israël. Si nous voulons créer un pays nous devons être autonomes. »

Celle qui explique avoir toujours voulu voyager, ressentant enfant que Gaza était trop petit pour elle, a pu aujourd’hui découvrir beaucoup de pays. Elle raconte combien chaque sortie de l’enclave est compliquée à obtenir, souvent purement et simplement interdite. Pourtant Majd continue à découvrir le monde, mais assure qu’elle ne voudrait vivre nulle part ailleurs qu’à Gaza.

Hayat Belhaj

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