Le 20 décembre 1896, à la surprise générale, le premier député musulman de l’Histoire de France, est élu au second tour comme député de Pontarlier face à un avocat. L’Islam bouleverse les vies et Philippe Grenier est l’exemple vivant d’un converti qui a frappé les esprits de son époque, par son éthique et ses projets de réformes sociales.
Élevé dans les principes les plus stricts du catholicisme, Philippe Grenier est né en 1865 à Pontarlier, commune de France.
Après ses études de médecine à Paris, il décide de s’installer dans sa ville natale en tant que médecin. Très vite, son altruisme, son dévouement et sa bonté envers ses patients, surtout les plus démunis auxquels il ne fait pas payer les consultations, feront de lui « le médecin des pauvres » et gagneront les cœurs des habitants.
Voyage en terre d’Algérie
Profitant de passer des vacances chez son frère militaire à Blida, en Algérie, Philippe Grenier est fasciné par le comportement et la foi musulmane de cette colonie française. Il s’intéresse au Coran et à ce qui y est révélé, allant jusqu’à apprendre quelques sourates. Il apprécie notamment la tenue traditionnelle algérienne, la gandoura, le burnous et le turban ; trouvant, en tant que médecin, que cet habit est plus hygiénique que le costume européen qu’il a l’habitude de porter.
En 1894, Philippe Grenier se convertit à l’islam et fera son pèlerinage à la Mecque, il avait 29 ans. Ce qui va affecter son envie d’action et de réforme sera la manière dont la France maintient les Algériens musulmans dans la misère, notamment en leur refusant la citoyenneté et le droit à l’instruction. Alors, qu’à la même époque, les juifs d’Algérie avaient ce droit.
L’aventure parlementaire
A son retour en France, il s’engagea, non seulement auprès des plus démunis, mais aussi politiquement dans des réformes sociales et d’hygiène publique. Connu dans la région et apprécié sans que sa foi musulmane soit problématique, il se présente aux élections législatives de 1896.
Et à la grande surprise générale, il fut élu à 51% de vote contre 49% face à son adversaire.
La Petite Gironde titre à la une :
« On avait déjà beaucoup de candidats ; on en compte un de plus aujourd’hui. Ce dernier, le docteur Philippe Grenier, M. le « prophète de Dieu ».
Lors de la rentrée parlementaire, le 12 janvier 1897, il fut l’objet de toutes les attentions et mêmes de moqueries, en se présentant en habit traditionnel berbère.
Lynchage médiatique parisien
Pendant un an et demi, la presse scrute le mandat du député Grenier, et mènera une campagne de dénigrement contre lui. Lors d’une conférence de presse, Philippe Grenier répond aux questions des journalistes (Le Matin, Le Gaulois, Le Journal, Le National, Le Soir et La Patrie).
« Je siégerai avec mon burnous et je ferai mes prières là où je me trouverai. (…) Sans doute aurai-je des désillusions, mais je n’en continuerai pas moins la lutte. »
« Je me suis converti par gout, par penchant, par croyance et nullement par fantaisie, comme on a insinué dans la presse. (…) J’ajoute que les prescriptions dans la foi musulmane sont excellentes puisqu’au point de vue social, la société arabe est basée tout entière sur l’organisation de la famille et que les principes d’équité, de justice, de charité envers les malheureux y sont seuls en honneur ; et qu’au point de vue de l’hygiène, elle proscrit l’usage des boissons alcoolisées et ordonne les ablutions fréquentes du corps et des vêtements. »
« Je fais, il est vrai, ma prière lorsque je rentre à la Chambre des Députés, mais est-il extraordinaire qu’avant d’accomplir des actes qui peuvent peser sur les destinées de mon pays et avoir les conséquences les plus graves, je demande à Dieu de me diriger et de m’éclairer dans ma conduite ?»
« Le Coran contient des sagesses dans sa doctrine. Le Coran est certes un code religieux, mais c’est plus que cela, c’est un code moral et un code civil. »
Ses prises de position et son programme social
– Un rapprochement de la France avec la population musulmane des colonies, ce qui permet d’augmenter son influence en Afrique grâce à la diffusion de l’instruction. Il compilera des données, des informations et se battra pour défendre la cause de ceux qu’on appelait «les indigènes».
– Il dépose un projet de loi concernant la défense nationale. Il propose de faire appel aux troupes coloniales pour compenser l’isolement stratégique de la France face à l’Allemagne (quelques années plus tard, l’Allemagne, forte en nombre, va envahir la France : la première guerre mondiale éclatera en 1914). Il propose de créer une armée coloniale grâce aux populations algérienne, tunisienne, sénégalaise et d’Indochine, et de les rémunérer en tant que militaire des colonies françaises.
– Son opposition à la consommation d’alcool lui vaut une hostilité de plus en plus vive dans sa circonscription, où la production d’absinthe est importante. En effet, Pontarlier est la capitale mondiale de la fabrication de ce spiritueux très alcoolisé, qui fait vivre économiquement toute la région. Son projet consistait à réduire le nombre de débit dans les bistrots et de taxer fortement l’absinthe. Cette lutte impopulaire contre ce fléau de « la fée verte » qui ravage les ouvriers et les plus démunis face au lobby des productions d’absinthe, lui valut son arrêt de mort électoral aux élections de 1898.
– Il dénonce les injustices sociales et l’excès de luxe et de privilèges de ses compatriotes, députés de l’Assemblée Nationale. Il sera la risée de la presse de l’époque, et celle-ci ironisera sur les causes qu’il défendait. Celle-ci le considérera comme un illuminé, un fou et un être ayant perdu tout contact avec la société.
Citoyen et homme de foi
A la fin de son mandat, il ne sera plus réélu même s’il s’était présenté par deux fois. Ainsi, il reprendra son activité médicale en 1898 en continuant à être dévoué à la cause des « petites gens», et écrira aux administrateurs coloniaux et aux grands de ce monde afin de passer un message d’humanité et d’humanisme : accepter l’autre dans sa différence et dans sa religion. Oublié par la presse et la population, on entendra le nom de Philippe Grenier, lors de l’inauguration en 1925, de la Mosquée de Paris. Il meurt à l’âge de 79 ans, le 25 mars 1944, à Pontarlier. Une mosquée et une école portent son nom dans sa ville natale.
Najoua
Pour en savoir plus :
*www.retronews.fr_ site de presse de la Bibliothèque Nationale de France (BNF), espace de consultations d’archives afin de connaitre l’histoire à travers les coupures de presses, radios et télévisuelles. Créé en 2012, documents numérisés.
*Livre : SALLEM Sadek, L’Islam et les musulmans de France, (Edition Tougui, 1987)
Magnifique travail !
Vous m’avez fait voyager dans cette lecture mais surtout vous m’avez permise d’aller à la rencontre d’un grand homme qui s’est battu pour défendre de magnifique valeurs.
Il est important d’entendre parler de personnes qui ont apporté quelques chose à l’histoire.
Hâte de vous relire.
J’aimeJ’aime