Chute de l’euro, vers un effondrement de la zone euro?

Ce mois-ci a été marqué par la fragilisation de l’euro face au dollar. L’euro est à parité avec le dollar ! Notre devise a perdu 14% de sa valeur en un an par rapport au dollar et arrive à un niveau historique jamais atteint depuis 20 ans (décembre 2002). Si l’euro cède à cette parité, les marchés européens y seront très sensibles et nous assisterons à un phénomène de panique sur les marchés boursiers. A quoi est due cette chute ? Que révèle-t-elle ? Quelles en sont les conséquences ? Peut-elle se poursuivre ? Et jusqu’où ? 

Penchons-nous tout d’abord sur quelques causes de cette baisse. Il y en a plusieurs parmi lesquelles : la crise covid qui a fragilisé tous les pays sans exception, une inflation très élevée, ensuite, la guerre ukrénio-russe, enfin la fuite des capitaux : on sait que les entreprises, les ménages, les investisseurs vont diriger leur argent vers la monnaie qui leur rapporte plus. Une personne qui possède un compte qui donne la possibilité de convertir son argent vers différents taux de change va sélectionner la monnaie qui rémunérera le plus et donc celle qui est la plus forte. Le dollar s’est souvent révélé être la monnaie de refuge et c’est encore plus vrai dans le contexte actuel.

Alors que la Fed (Réserve fédérale américaine) a réagi contre l’inflation du dollar en augmentant les taux d’intérêt dès mars dernier, la BCE (Banque centrale européenne), quant à elle, a mis du temps et n’a commencé à le faire qu’en juillet, une première pour l’Europe depuis 2011. Fortement critiquée, Christine Lagarde, la présidente de la BCE n’a pas rapidement réagi en augmentant les taux d’intérêt car elle était confrontée à un dilemme délicat : si elle n’augmente pas les taux d’intérêt, l’inflation continue d’augmenter en Europe;  ce scénario nous ramène fatalement à une baisse économique européenne. Si elle augmente les taux d’intérêt, l’euro va, certes, augmenter et gagner de la valeur par rapport au dollar. Les ménages et entreprises préfèreront épargner leur argent. Donc, la consommation, les investissements et les marchés boursiers européens diminueront.  Dans les deux scénarios, on a un ralentissement de l’économie.

Mais alors pourquoi Christine Lagarde a mis du temps à augmenter les taux d’intérêt et à continuer à laisser l’euro baisser ?

Parce que lorsque l’euro baisse, l’Europe devient plus compétitive pour ses biens exportés ce qui est bon pour le PIB européen. Par exemple, la Belgique vendrait plus de médicaments aux Etats-Unis qui peuvent acheter plus avec un dollar plus fort. Donc, l’Europe devient plus compétitive mais cette compétitivité n’est non seulement pas immédiate mais les fruits de cette stratégie mettront quelques années à se voir sur la croissance européenne. Ils ne compensent pas les inconvénients liés aux importations européennes qui subissent l’effet inverse puisqu’un euro vaut moins qu’avant et donc l’Europe peut moins importer qu’avant. Nous avons vu lors de la crise Covid à quel point l’Europe était dépendante des importations mondiales (dont les produits chinois[1], les matériaux d’automobiles, les produits technologiques…).

Est-ce pour autant la seule raison qui dissuade Christine Lagarde d’élever les taux d’intérêt ?

Et non ce n’est pas la seule raison. Le plus gros danger dans l’augmentation des taux d’intérêt est en réalité de voir la dette de chaque pays augmenter. Quel est le rapport ? Imaginez que vous avez un emprunt avec votre banque (pour votre maison ou votre entreprise par exemple). Si votre banquier vous annonce qu’il va rehausser le taux de votre emprunt, vous ne serez pas content car vous payerez une charge plus grosse liée à votre emprunt. Votre capital diminuera : vous consommerez, dépenserez, investirez moins. En somme, vous serez moins riche ! C’est exactement dans cette situation que serait chaque pays européen dans le cas d’une augmentation des taux d’intérêt par la BCE. La Belgique verra sa dette augmenter, les Belges consommeront moins, épargneront moins, investiront moins et l’économie et le PIB[2] belge iront mal. Ce même raisonnement peut-être appliquer à un niveau plus haut : la zone euro.

Bien que les dangers de l’augmentation des taux d’intérêt soient clairs à l’échelle individuelle (ménage et entreprise), à l’échelle économique (pays) et à l’échelle macroéconomique (zone euro), la présidente de la BCE ne fait que gagner du temps en grapillant des semaines et des jours avant de passer aux hausses en pesant le pour et le contre de sa décision. Quoiqu’il en soit, elle ne peut pas laisser l’euro chuter en dessous de 1 dollar sans réagir et laisser la devise européenne mourir.

Quelles sont les conséquences de cette chute ?

  • La première conséquence d’un euro faible est l’« inflation importée » : les importations coutent plus chères qu’avant ce qui accentue l’inflation déjà existante mettant à mal toute l’économie et on rentre dans une spirale inflationniste ;
  • Un ralentissement de toutes les croissances européennes et une diminution de tous les PIB des pays de la zone euro : nous avons vu dans les deux scénarios précédents que l’Europe devait passer par une récession économique[3]. La différence est que dans le premier cas, on retarderait cette récession. Un reset économique semble donc être un passage inéluctable pour la zone euro.
  • La perte de confiance des ménages et chefs d’entreprise[4] en cette monnaie.  Les consommateurs voient leur pouvoir d’achat diminuer. Ce phénomène se manifeste aussi par une augmentation généralisée des protestations et manifestations en Europe.[5] L’euro n’a pas perdu de valeur que face au dollar mais aussi face aux autres monnaies : le franc suisse, le yen et même face au rouble malgré toutes les vaines tentatives de l’Union européenne de casser l’économie russe. D’ailleurs, certaines grandes figures comme Ray Dalio n’ont pas hésité à parier quelques milliards de dollars contre la chute de l’euro[6].
  • La dette des pays européens augmente (si les taux d’intérêt montent). Cette dette croissante fragilise encore plus la zone euro et compromet les pactes du traité de Maastricht et donc l’Union européenne.
  • La dernière et non la moindre des conséquences est la remise en question de la zone euro. On a longtemps parlé du Brexit et il s’est concrétisé. L’Angleterre est sortie de la zone euro. Aujourd’hui, les économistes et politiciens parlent de plus en plus de la sortie de la France (Frexit), de l’Italie[7] et même de l’Allemagne [8] de la zone euro. Cette crise, contrairement à celle de 2008 où les pays « bons élèves » comme la France et l’Allemagne ont pu sauver la Grèce et la maintenir en zone euro, a mis en évidence que même les meilleurs pays de la zone euro tels que l’Allemagne ne sont plus capables d’assumer les mauvaises politiques des autres pays ou de sauver les pays en graves difficultés comme l’Italie actuellement.

Grace à la zone euro, l’Europe pouvait rivaliser contre les autres puissances mondiales telles que les Etats-Unis et la Chine. Sommes-nous en train d’assister à une dislocation de la zone euro ?  Si elle n’existe plus, assisterions-nous à un nouveau remaniement de l’ordre mondial ? La Chine est-elle en train de profiter de la situation pour monter au-devant de la scène ?

Ce qui est certain, c’est que si la zone euro veut continuer à exister à long terme, en tant que grande puissance mondiale, elle a intérêt à être compétitive en matière d’exportations et à dépendre beaucoup moins des importations mondiales.  Elle doit donc se recentrer sur sa production en interne et stimuler l’innovation et la recherche en développement.  S’il n’y a pas de dislocation de la zone euro, à court terme, il est clair que ces questions soulèvent le débat sur le plan politique et économique.

Nelm


[1] https://www.bfmtv.com/economie/covid-19-comment-les-exportations-chinoises-ont-encore-accru-leur-part-du-marche-mondial_AN-202010190159.html

[2] Produit Intérieur Brut= production économique d’un pays.

[3] Une récession économique est un ralentissement de la croissance économique sur deux trimestres consécutifs.

[4] https://www.lemonde.fr/economie/article/2009/02/26/zone-euro-la-confiance-au-plus-bas_1160611_3234.html

[5] https://fr.euronews.com/2021/11/20/covid-19-les-manifestations-se-multiplient-a-travers-l-europe

[6] https://www.cnbc.com/2022/06/17/dalio-is-right-to-short-europe-strategist-says-the-pain-will-go-on.html

[7] https://euroweeklynews.com/2021/02/06/italy-or-france-next-to-leave-the-eu-warns-frexit-campaigner/

[8] https://fr.businessam.be/stiglitz-sortie-de-lallemagne-zone-euro/