L’islam et l’enseignement moral : l’exemple de Luqmân le Sage

Lyess Chacal, écrivain et docteur de l’université Paris IV Sorbonne nous fait l’honneur de prendre la plume pour nous parler d’éducation à travers l’exemple de Luqman. Des versets riches d’enseignements sur lesquels l’auteur nous propose de nous arrêter pour les méditer profondément.

Rousseau écrivait : « On ne connaît point l’enfance : sur les fausses idées qu’on en a, plus on va, plus on s’égare. Les plus sages s’attachent à ce qu’il importe aux hommes de savoir, sans considérer ce que les enfants sont en état d’apprendre. Ils cherchent toujours l’homme dans l’enfant, sans penser à ce qu’il est avant que d’être homme. Commencez donc par mieux étudier vos élèves ; car très assurément vous ne les connaissez point. » (Emile ou de l’éducation).[1] Ou encore : « Tout est bien sortant des mains de l’Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme. »  Ces paroles de Jean-Jacques Rousseau illustrent, si besoin était, l’importance qu’a revêtue l’éducation selon les époques. L’éducation a toujours été une préoccupation majeure. Le Coran a pourtant beaucoup à nous apporter en matière d’éducation comme nous nous proposons de le faire, certes succinctement, au travers de cet article en nous appuyant sur l’exemple de Luqmân al Hakim ou Luqmân le Sage. 

Les prophètes : ces exemples vivants

Les valeurs morales ne se transmettent pas comme un savoir. Elles s’acquièrent et se construisent au gré de nos expériences et des modèles que nous suivons. Les parents sont nos premiers modèles. Le Prophète en est un autre et, par extension, les récits des prophètes dans le Coran sont aussi source d’exemple. Sur ce dernier point, une première lecture de ce que le Coran rapporte de la vie de ces prophètes montre que chacun d’entre eux s’est distingué par une qualité ou un trait de personnalité différent des autres. Ce sont ces spécificités que le Coran nous propose dans un but bien précis. Il nous est impossible d’être exhaustif, néanmoins voici ce que nous pouvons apprendre de l’histoire d’une grande partie des prophètes cités par le Coran et plus particulièrement celle de Luqmân.

Le récit de Luqmān le sage : un exemple d’enseignement moral

Arrêtons-nous maintenant à un récit coranique qui évoque la façon dont Luqmân, s’adressa à son fils. De Luqmân, on sait peu de choses si ce n’est qu’il était probablement originaire de Nubie (actuel Soudan) et qu’il aurait été un esclave affranchi par son maître en partie grâce à cette sagesse légendaire qui le caractérise [2]. La sourate, intitulée « Luqmân », est un exemple édifiant d’un père exhortant son fils à se conformer à de nombreux commandements et valeurs morales soigneusement hiérarchisées. Nous proposons, dans un premier temps de suivre pas à pas les quelques versets relatifs à Luqmân et de nous imprégner de leur contenu avant d’en tirer des règles plus générales. Le Coran mentionne, tout d’abord, le devoir d’être reconnaissant envers les bienfaits divins :

« Nous avons effectivement donné à Luqmân la sagesse : “Sois reconnaissant à Allah, car quiconque est reconnaissant, n’est reconnaissant que pour soi-même; quant à celui qui est ingrat… En vérité, Allah se dispense de tout, et Il est digne de louangeˮ»[3] 

وَلَقَدْ آتَيْنَا لُقْمَانَ الْحِكْمَةَ أَنِ اشْكُرْ لِلَّهِ وَمَنْ يَشْكُرْ فَإِنَّمَا يَشْكُرُ لِنَفْسِهِ وَمَنْ كَفَرَ فَإِنَّ اللَّهَ غَنِيٌّ حَمِيدٌ

La reconnaissance est désignée par le terme arabe šukr. L’ingratitude au sens de se détourner de Dieu au point de ne plus croire en Lui est désigné par le mot kufr. Ce que nous traduisons bien souvent par mécréant en parlant de kâfir est plutôt celui qui nie les bienfaits de Dieu à son égard et qui ne reconnaît à Dieu aucune intervention dans sa vie. Vient ensuite le récit de Luqmân :

« Et lorsque Luqmân dit à son fils tout en l’exhortant : “Ô mon fils, ne donne pas d’associé à Allah, car l’association à [Allah] est vraiment une injustice énorme.ˮ» 

وَإِذْ قَالَ لُقْمَانُ لِابْنِهِ وَهُوَ يَعِظُهُ يَا بُنَيَّ لَا تُشْرِكْ بِاللَّهِ إِنَّ الشِّرْكَ لَظُلْمٌ عَظِيمٌ

Le premier enseignement de ce verset est à chercher dans la posture de Luqmân à l’égard de son fils que le Coran prend soin de mettre en avant. On ne trouve pas de mention d’échanges entre le père et son fils ; c’est ici le père qui s’adresse à son fils pour l’exhorter à suivre les enseignements qui lui seront dictés. L’emploi, dans les versets que nous citons, de verbes à l’impératif indique que nous avons bien affaire là à des injonctions. Ces dernières ont valeur de règles absolues. D’ailleurs, la référence symbolique du père chez les psychanalystes est importante puisque le père représente la loi. 

L’enseignement fondamental de ce verset concerne la première injonction de Luqmân qui touche au culte et au devoir de ne rien associer à Dieu. Luqmân pose les bases d’un monothéisme absolu qui consacre Dieu comme seule divinité digne d’adoration. Il délimite aussi et surtout le cadre dans lequel va se développer la spiritualité de l’enfant dans son rapport au divin. 

L’autre élément fort intéressant, une fois érigée la base du monothéisme pur, c’est la mention de la reconnaissance, déjà évoquée plus haut, mais élargie aux parents, père et mère, avec, comme souvent dans le Coran, une sollicitude toute particulière à l’égard de la mère dont la première « qualité » est d’avoir su souffrir pour amener son enfant à la vie. Cette souffrance mérite, pour Dieu, que la mère soit l’objet d’attentions et d’affection particulières : 

« Nous avons commandé à l’homme [la bienfaisance envers] ses père et mère; sa mère l’a porté [subissant pour lui] peine sur peine : son sevrage a lieu à deux ans. “Sois reconnaissant envers Moi ainsi qu’envers tes parents. Vers Moi est la destinationˮ. » 

وَوَصَّيْنَا الْإِنْسَانَ بِوَالِدَيْهِ حَمَلَتْهُ أُمُّهُ وَهْنًا عَلَى وَهْنٍ وَفِصَالُهُ فِي عَامَيْنِ أَنِ اشْكُرْ لِي وَلِوَالِدَيْكَ إِلَيَّ الْمَصِيرُ

Ce respect des parents est un respect inconditionnel mais qui ne saurait toucher à l’adoration de Dieu comme l’indique le verset ci-dessous :

« Et si tous deux te forcent à M’associer ce dont tu n’as aucune connaissance, alors ne leur obéis pas; mais reste avec eux ici-bas de façon convenable. Et suis le sentier de celui qui se tourne vers Moi. Vers Moi, ensuite, est votre retour, et alors Je vous informerai de ce que vous faisiez » 

وَإِنْ جَاهَدَاكَ عَلَى أَنْ تُشْرِكَ بِي مَا لَيْسَ لَكَ بِهِ عِلْمٌ فَلَا تُطِعْهُمَا وَصَاحِبْهُمَا فِي الدُّنْيَا مَعْرُوفًا وَاتَّبِعْ سَبِيلَ مَنْ أَنَابَ إِلَيَّ ثُمَّ إِلَيَّ مَرْجِعُكُمْ فَأُنَبِّئُكُمْ بِمَا كُنْتُمْ تَعْمَلُونَ

Cependant, la désobéissance aux parents ne peut se faire que dans l’exercice de son culte. Elle ne peut être prétexte à une désobéissance plus large. Il y a nécessité de préserver la stabilité du cercle familial en continuant d’être redevable à l’égard de ses père et mère. 

Adorer Dieu seul, lui être reconnaissant ainsi qu’envers ses parents constituent les fondements essentiels qui vont permettre maintenant d’approfondir sa foi et sa pratique. Tout d’abord en consacrant l’omnipotence et l’omniscience divines car rien n’échappe à Dieu : 

« “Ô mon enfant, fût-ce le poids d’un grain de moutarde, au fond d’un rocher, ou dans les cieux ou dans la terre, Allah le fera venir. Allah est infiniment Doux et Parfaitement Connaisseurˮ» 

يَا بُنَيَّ إِنَّهَا إِنْ تَكُ مِثْقَالَ حَبَّةٍ مِنْ خَرْدَلٍ فَتَكُنْ فِي صَخْرَةٍ أَوْ فِي السَّمَاوَاتِ أَوْ فِي الْأَرْضِ يَأْتِ بِهَا اللَّهُ إِنَّ اللَّهَ لَطِيفٌ خَبِيرٌ

La prière n’est mentionnée qu’après la dictée des grandes règles du culte. Tout individu sait maintenant à qui sont destinées ses prières :

« Ô mon enfant accomplis la Salât (prière), commande le convenable, interdis le blâmable et endure ce qui t’arrive avec patience. Telle est la résolution à prendre dans toute entreprise! » 

يَا بُنَيَّ أَقِمِ الصَّلَاةَ وَأْمُرْ بِالْمَعْرُوفِ وَانْهَ عَنِ الْمُنْكَرِ وَاصْبِرْ عَلَى مَا أَصَابَكَ إِنَّ ذَلِكَ مِنْ عَزْمِ الْأُمُورِ

La prière commande que soit ordonné le convenable et interdit le blâmable. L’endurance mentionnée par le verset sous-entend que l’on soit exposé, en société, aux réactions négatives des individus qui n’accepteraient pas qu’on puisse les rappeler au bon sens en cas de dérive. 

Les versets que nous venons de parcourir illustrent de manière très claire les grands axes à privilégier dans l’éducation morale de nos enfants, sans pour autant que cela soit exhaustif bien entendu. Ils ont le mérite de mettre en avant quelques principes qui permettent que la vie en société soit possible :

  • reconnaître les bienfaits de Dieu à notre égard c’est nous placer dans cette position d’assujettissement consentie à Dieu. C’est aussi éviter toute suffisance et donc tout dévoiement ; 
  • la reconnaissance vaut aussi pour les parents et la mère en particulier. Il y a réaffirmation du socle social de base, la famille, au sein de laquelle le père a la lourde charge de transmettre à sa progéniture les règles essentielles de la religion ; 
  • rien ne peut justifier de désobéir à ses parents, hormis la pratique du culte voué à Dieu ;
  • Dieu sait tout, Il voit tout. Ces attributs divins doivent sensibiliser les enfants à la sincérité dans les actes. Notre éducation doit valoriser l’absence de « tricheries » ou de dissimulations malsaines parce que rien n’échappe à Dieu ;
  • c’est seulement les éléments précédemment assimilés que la prière prend tout son sens. Abordée, sous cet angle, on voit bien que la prière ne peut se limiter à une série de mouvements insignifiants. Elle est, de plus, intimement liée au fait d’ordonner le convenable et d’interdire le blâmable. La prière est l’un des symboles d’une éducation morale pratique aboutie qui se reflète au travers de sa façon d’être au quotidien ;
  • l’intérieur doit être purifié de tous les caractères blâmables et répréhensibles au premier titre desquels l’orgueil et l’arrogance. Ces derniers ont valu à Iblīs d’être chassé du paradis.
  • l’humilité est une vertu à cultiver. Elle grandit celui qui la pratique. 

En résumant de la sorte les grands enseignements que nous offrent ces versets tirés de la sourate Luqmân, on peut construire l’éducation morale de nos enfants en s’appuyant sur de grandes lignes directrices qui constitueront les bases d’une éducation plus complète. 

Lyess Chacal

[1] Rousseau, Émile ou de l’éducation.

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