Aujourd’hui, plus que jamais, les nouvelles technologies amènent leur lot de nouveaux outils socio-techniques qui facilitent nos relations interpersonnelles. On voit alors apparaître de nouveaux modes de communication virtuels comme les plateformes sociales qui se déclinent en fonction de l’attente et de l’objectif de son utilisateur. Ces nouvelles plateformes sociales telles que Twitter, Facebook, Linkedln,… permettent à la fois d’être producteur et utilisateur de son contenu médiatique. On pourrait se poser la question de savoir si les codes sociaux existant dans la vie réelle sont transposables aux codes sociaux dans le monde virtuel. Nous pouvons trouver une piste de réponse dans l’approche du sociologue interactionniste Erving Goffman.
Erving Goffman : une approche interactionniste
Erving Goffman (1922-1982) est un sociologue et linguiste d’origine canadienne, associé au courant interactionniste symbolique, selon lequel la société est conçue comme la résultante des multiples interactions entre les individus.[1] E. Gofmann définit les interactions sociales en ces termes : « […] Par interaction (c’est-à-dire l’interaction en face à face), on entend à peu près l’influence réciproque que les partenaires exercent sur leurs actions respectives lorsqu’ils sont en présence physique immédiate les uns des autres : par une interaction, on entend l’ensemble de l’interaction qui se produit en une occasion quelconque quand les membres d’un ensemble donné se trouvent en présence continue les uns des autres, le terme « une rencontre » pouvant aussi convenir.»
Que le spectacle commence…
Usant de métaphores didactiques, Goffman offre une lecture des interactions sociales sous forme d’une mise en scène de soi dans la vie quotidienne qu’il nomme la « théâtralité du quotidien ». Le canadien utilise donc la métaphore théâtrale afin de se représenter les interactions sociales comme une pièce de théâtre où les individus sont en représentation, jouant tout un panel de jeu d’acteur en fonction du contexte dans lequel ils sont conscients des codes sociaux les régissant. Il utilise du vocabulaire théâtral tel que rôle, représentation, façade, coulisses,… Nous serions donc des acteurs amenés à théâtraliser notre quotidien, à adopter des façades adaptées aux différents contextes que nous rencontrons et donc chacun est amené à apprendre les codes régissant ces différentes situations de vie et le consensus spécifique, afin de ne pas perdre la face ou de la faire perdre à autrui. Les acteurs en représentation construisent une définition commune de la situation.[2] Il existe de nombreuses situations similaires dans notre quotidien qui sont dictées par des conventions qui leur sont propres celles par exemple d’un repas de famille, d’un match de foot ou encore d’un entretien d’embauche.
Du réel au virtuel, la mise en scène
Même si Goffman n’est pas contemporain à l’essor et au développement fulgurant des plateformes sociales, on peut aisément retransposer cette grille de lecture à l’utilisation des réseaux sociaux où cette mise en scène de la vie quotidienne mondialement diffusée, se décline à l’infini. Il existe également des normes sociales dans les réseaux socionumériques, aussi bien que dans nos interactions sociales « face à face ». Les usagers de ces plateformes sociales ne se présentent pas de la même façon selon le code social en vigueur dans celle-ci ainsi un profil Facebook ne sera pas présenté de la même façon qu’un profil Linkedln ou twitter,… Les usagers adaptent leur réaction au contexte et interagissent en conséquence. Ils adoptent de ce fait des façades au travers de leur profil ou leur avatar qui correspond aux objectifs de la plate-forme sociale. Ainsi selon le type de plateforme, nous allons mettre en avant tant nos expériences professionnelles, nos loisirs, nos goûts et préférences, notre savoir-faire culinaire,… Les informations mises en avant font partie d’une stratégie afin d’obtenir de ces réseaux les avantages espérés.
Quand la pièce de théâtre tourne au drame…
Goffman appelle cela une « situation de rupture », une remise en question de la réalité commune, causant un malaise général.[3]Cela peut se produire si par exemple l’acteur joue mal son rôle ou alors que des spectateurs ne participent pas comme il est attendu ou encore que le cadre des conventions générales est mal interprété. Par exemple sur les réseaux socionumériques, le comportement inapproprié, des remarques déplacées,… peuvent conduire à l’exclusion de l’utilisateur. Les réseaux socionumériques n’échappent pas au code social traditionnel. Mais ces codes ne nous ont pas été appris à l’école ou par les parents. Implicitement, inconsciemment peut-être, nous avons appris à nous adapter aux différentes normes sociales des réseaux sociaux. On peut considérer que les réseaux socionumériques sont comme de nouveaux lieux d’apprentissage des codes sociaux qui leur sont propres. Cependant la retransposition du réel au virtuel de la théorie de Goffman n’est pas absolue, selon moi. C’est à mon sens un outil de lecture pertinent et éclairant. Mais les réseaux sociaux possèdent leurs spécificités, leur zone d’ombre et de lumière, leurs algorithmes. Il existe une certaine opacité dans ce face à face virtuel qui peut conduire à des dérives, à des utilisations malsaines,…
O.D.
[1] https://www.toupie.org/Dictionnaire/Interactionnisme.htm
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Erving_Goffman
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Erving_Goffman#La_présentation_de_soi