La Russie a lancé ce jeudi 24 février une invasion de l’Ukraine, entrant dans le pays en divers endroits, à l’est, au sud et au nord et en bombardant les principales villes du pays, dont la capitale Kiev. A ce jour, on dénombre plus de 677 000 réfugiés accueillis par les quatre pays voisins mais de nombreux pays européens ont d’ores et déjà annoncé leur souhait d’accueillir ceux qui fuient le conflit. La couverture médiatique de cette guerre interpelle et notamment le choix de certains mots utilisés par des journalistes pourtant chevronnés…
L’Ukraine, plus « civilisée »
Vendredi 25 février, Charlie D’Agata, un journaliste de la chaîne américaine CBS a suscité un tollé après avoir suggéré que l’Ukraine est plus « civilisée » que des pays du Moyen-Orient comme l’Afghanistan et l’Irak. Le journaliste, pourtant chevronné, et qui effectuait un reportage depuis la capitale Kiev, a déclaré que l’Ukraine « n’est pas un endroit, avec tout le respect que je lui dois, comme l’Irak ou l’Afghanistan, qui a vu des conflits faire rage pendant des décennies. » « C’est une ville relativement civilisée, relativement européenne – je dois aussi choisir ces mots avec soin – où vous ne vous attendriez pas à cela ou n’espériez pas que cela se produise. »

Immédiatement, la séquence a été reprise et est devenue virale sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes qualifiant les propos d’« honteux », tandis que certains espéraient que » lorsque des problèmes plus urgents seront résolus et que l’agression de la Russie sera neutralisée, nous pourrons commencer à nous demander pourquoi la guerre, la mort et la souffrance sont considérées comme normales pour certains êtres humains et pas pour d’autres « .
Mea culpa
Devant l’ampleur de la réaction suscitée, le journaliste a regretté ses propos. Il affirme :
» J’ai parlé d’une manière que je regrette, et j’en suis désolé. » Il ajoute qu’il souhaitait à travers ses propos faire comprendre que l’Ukraine n’avait pas connu » cette ampleur de la guerre » ces dernières années, contrairement à d’autres pays. « De toute façon, vous ne devriez jamais comparer les conflits, chacun est unique… J’ai utilisé un mauvais choix de mots et je m’excuse pour toute offense que j’ai pu causer. »
Un mauvais choix de mots qui n’en est pas un
Le journaliste de CBS a parlé de mauvais choix de mots, pourtant en tant que journaliste le choix des mots fait partie des qualités professionnelles indispensables pour exercer ce métier. Donc ce n’était pas uniquement une erreur banale, elle montre tout simplement encore une fois la persistance, chez certains, de clichés durablement ancrés et qui affirment que certaines vies ont plus de valeur que d’autres. Dans ce cas-ci, des vies ukrainiennes au détriment de vies syriennes, iraquiennes, palestiniennes ou yéménites et cela est tout simplement inacceptable et doit être condamné à l’échelle mondiale.
Hiérarchisation des vies humaines ?
En Angleterre, sur BBC News, un correspondant, David Sakvarelidze s’est dit touché personnellement : « C’est très émouvant pour moi parce que je vois des Européens aux yeux bleus et aux cheveux blonds être tués » ajoutant du crédit à la thèse qui affirme que seuls les « blancs » méritent davantage de sympathie face à l’adversité. En France, d’autres propos similaires ont été entendus sur des chaînes de grande audience. C’est le cas de la chaîne d’info en continu BFM TV où le journaliste Philippe Corbé déclare : «C’est pas des départs en vacances. Ce sont des gens qui fuient la guerre. » « On parle pas de Syriens qui fuient les bombardements du régime syrien, on parle d’Européens qui partent dans leurs voitures qui ressemblent à nos voitures, et qui essayent juste de sauver leur vie quoi. » Tandis que le président français de la commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale, Jean-Louis Bourlanges s’est réjoui de cette nouvelle vague migratoire : « On aura une immigration de grande qualité dont on pourra tirer profit. »

Mais néanmoins, la critique ne s’adresse pas uniquement aux médias occidentaux, les médias arabes ne sont pas en reste à l’image d’Al Jazeera English. Un présentateur de la chaîne qatari, Peter Dobbie, a déclaré : « Ce qui est fascinant chez ces gens, c’est la façon dont ils sont habillés ; ce sont des gens prospères de la classe moyenne qui ne sont évidemment pas des réfugiés. Ce ne sont pas des gens qui essayent de fuir des régions d’Afrique du Nord. Ils ressemblent à n’importe quelle famille européenne à côté de laquelle vous vivriez. » La chaîne a aussitôt présenté des excuses sur Twitter, écrivant : « Un présentateur @AJEnglish a fait des comparaisons injustes entre les Ukrainiens fuyant la guerre et les réfugiés de la région MENA. Les commentaires du présentateur étaient insensibles et irresponsables. Nous nous excusons auprès de notre public dans le monde entier et le manquement au professionnalisme est en train d’être traité. » Même si ces propos n’ont pas soulevé une vague d’indignation comme celle provoquée par les dires du journaliste de CBS News, ils interpellent à plus d’un titre.

Certains accueillis, d’autres refoulés
Alors que les pays voisins de l’Ukraine sont mobilisés pour accueillir les réfugiés qui fuient en masse leur pays, les témoignages qui nous parviennent font état d’un travail extraordinaire fourni par la Pologne et la Hongrie notamment. Ce n’est pourtant pas l’avis des réfugiés africains, arabes ou indiens qui ont été refoulés aux frontières sur base de leur couleur de peau. Les autorités polonaises et hongroises ont démenti mais les faits sont bien réels. Triés également au départ de l’Ukraine, de nombreux ressortissants ont donc dû effectuer à pied les 40 kilomètres qui séparent Lviv de la frontière polonaise avant de se voir à nouveau refouler sur place… Chez nous, le secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, Sammy Mahdi, a déclaré que « la Belgique ne comptera pas le nombre de réfugiés ukrainiens qu’elle accueillera ». Si l’on se réjouit d’une telle solidarité, nous aurions aimé entendre le même enthousiasme quant à l’accueil des autres réfugiés alors que les pays européens se disputaient sur le nombre de réfugiés syriens qu’ils consentaient à laisser franchir leur frontière… Une hiérarchisation des vies humaines incroyable au 21ème siècle !
H.B.